Document préparatoire
à la Cinquième Conférence de l’Épiscopat
latino-américaine.
Présentation et commentaires analytiques
Agenor BRIGHENTI
La V Conférence de l’épiscopat latino-américain
et des Caraïbes, convoquée pour les mois d’avril
et mai 2007 à Aparécida (Brésil), s’inscrit
dans l’ensemble des quatre rencontres antérieures: Rio
de Janeiro (1955), Medellin (1968), Puebla (1979) et Santo Domingo
(1992). Elle a pour thème: «Disciples et missionnaires
de Jésus-Christ, pour qu’en Lui nos peuples aient la
vie». «Je suis, le chemin, la vérité et
la vie» (Jn 14,6). Comme ce fut le cas lors des rencontres antérieures,
elle ne prétend pas être uniquement une réunion
d’évêques mais une assemblée de l’Église
d’Amérique latine et des Caraïbes, vers laquelle
convergent la participation et la collaboration de toutes les Églises
locales à travers leurs conférences épiscopales
nationales respectives. Le document préparatoire a pour finalité
d’animer et d’orienter la participation des communautés
ecclésiales dans la préparation de cette cinquième
conférence, dont le thème est le disciple et la mission.
La contribution des communautés devra être réalisée
à partir de certaines fiches qui devront être complétées
avant le mois de novembre 2006. Sur la base de la compilation des
contributions qui seront remises par les conférences épiscopales
nationales, on élaborera un document synthèse qui servira
de point de départ au travail des évêques.
Les réflexions de cette étude s’inscrivent dans
ce temps privilégié et important de préparation.
Elles cherchent à contribuer à deux objectifs concrets:
premièrement, offrir une présentation synthétique
du contenu du document préparatoire et une vision d’ensemble
des thèmes traités; deuxièmement, elles visent
à réaliser un commentaire analytique du document, centrant
surtout son attention sur les limites et les oublies pour tenter de
l’enrichir.
Les deux objectifs seront traités aux deux points qui suivent.
1. Présentation synthétique du document préparatoire
Pour la présentation du document nous suivront sa structure,
suivant les titres du texte et leurs contenus sous forme télégraphique
et indiquant le numéro correspondant.
Introduction
Le document préparatoire cherche à susciter la participation
la plus large possible en cette étape de préparation,
en cette heure de grâce et d’orientation pastorale.
1. L’aspiration au bonheur, à la vérité,
à la fraternité et à la paix (1-20).
A. Une aspiration universelle
1. Nous sommes tous chercheurs et pèlerins du bonheur : au
plus profond de notre être il y a la faim de l’amour et
de la justice, de la liberté et de la vérité,
soif de contemplation, de beauté et de paix, ambition de plénitude
humaine, recherches anxieuses d’un foyer et de la fraternité.
2. Ce que nous recherchons surpasse totalement les dimensions et
les possibilités de la vie en ce monde, ouvrant le chemin à
notre soif de Dieu et à notre vocation pour le ciel.
3. Déjà en ce monde, nous serons toujours plus heureux
dans la mesure où nous serons à l’image et à
la ressemblance de Dieu – le Père, le Fils et l’Esprit
Saint, la communauté des trois personnes heureuses.
4. Dans l’histoire de l’humanité, aujourd’hui
encore, il y a des personnes et des peuples qui s’égarent,
recherchant leur réalisation par des chemins erronés.
B. À la lumière de la révélation
5. La révélation illumine les aspirations les plus
profondes de notre être.
6. Dans l’Ancien Testament, Dieu se manifeste comme Seigneur
de l’Histoire, Législateur et Juge.
7. Avec Abraham et les patriarches, Il proclame simultanément
l’amour et le respect fraternel, sans idole, sans misère,
ni esclavage.
8. Moïse exhorte son peuple à accomplir les dix commandements,
ceux-ci seront le chemin qui conduit au bonheur.
10. Par le mystère de l’Incarnation, de la mort et de
la Résurrection, Jésus devient notre chemin.
13. Les Béatitudes sont un code du bonheur et elles soutiennent
notre espérance dans les tribulations.
14. Pour vivre les Béatitudes, comme apôtres, témoins
et collaborateurs, Il nous envoya son Esprit.
15. La suite implique d’embrasser la croix du Christ et que
la souffrance est l’offrande filiale au Père.
16. Le christianisme est né et s’est étendu comme
une Bonne Nouvelle pour l’humanité.
17. Comme Bonne Nouvelle, naquirent les premières communautés
après la Pentecôte.
18. Malgré les terribles persécutions, le christianisme
se répandit dans l’Antiquité comme une véritable
explosion de joie, comme un courant de foi, de sagesse et d’espérance.
19. Les apôtres reçurent le commandement de Jésus:
«Allez et faites des disciples chez tous les peuples»,
et l’Église alla bien au-delà des frontières
de l’Empire romain.
20. La réalisation de ce commandement fut accompagné
du martyr, la joyeuse espérance de L’accompagner dans
le ciel.
II. Depuis l’arrivé de l’Évangile
en Amérique latine et dans les Caraïbes, nous vivons notre
foi avec gratitude (21-35).
A. Nos peuples reçurent la bénédiction
de la rencontre avec le Christ vivant.
21. Par un sage et généreux dessein de la Providence
divine, parvint jusqu’aux terres de ce continent ce courant
d’amitié avec Dieu, de vie nouvelle et de promotion humaine
qu’initia Jésus-Christ par son Incarnation et sa Pâque
et que l’Esprit inspira tout au long des siècles avec
sa force de Pentecôte.
22. Il arriva à ses peuples dont la vie était déjà
accompagnée par la «présence créatrice,
providentielle et salvatrice de Dieu». Parmi eux, «les
semences du Verbe» étaient présentes dans de nombreuses
valeurs qui prédisposaient à une réception plus
rapide de l’Évangile.
23. La Vierge de la Guadalupe aida à ouvrir les portes du
cœur des peuples autochtones à Jésus-Christ.
24. Notre héritage catholique fut établi et dynamisé
par une vaste légion missionnaire d’évêques,
de religieux et de laïcs.
25. Toutefois, l’évangélisation connut ses lumières
et ses ombres, comme le témoignent Bartolomé de las
Casas, Juan de Zumarraga, Vasco de Quiroga, Juan del Valle, Julian
Garcés, José de Anchieta, Manuel Nobrega et tant d’autres.
26. L’évangélisation elle-même constitue
un tribunal d’accusation envers les responsables de tels abus.
27. Nous nous solidarisons avec la douleur des conquis, soumis à
l’esclavage, conformément à la demande de pardon
du Pape Jean-Paul II holocauste méconnu.
28. Ce furent également des temps difficiles pour l’Église
d’Amérique latine, les grandes crises du XIXe et du début
du XXe siècle (Église persécutée). Vatican
II rénoverait le dynamisme évangélisateur.
30. Principalement à partir de Medellin, advient une nouvelle
étape de notre histoire, où l’Église cherche
à contribuer à la construction d’une nouvelle
société.
B. Una Iglesia viva, fermentada por la experiencia de la
gracia de Dios
32. L’héritage reçu, dans le Continent de l’Espérance,
engage l’Église à donner une réponse joyeuse
et missionnaire à ceux qui cherchent un sens.
33. Les pérégrinations du Pape Jean-Paul II marquèrent
des sommets inoubliables de cette histoire.
34. Signes d’espérance qui montrent la semence de Dieu
en croissance : 90% de ses habitants croient en Dieu; les joyeuses
célébrations liturgiques et la vie des paroisses, de
ses communautés de base et des mouvements ecclésiaux;
la piété et la religiosité populaire; les paroisses
missionnaires; les efforts pastoraux de l’Église dans
laquelle participent des religieux et des religieuses orientés
vers la Nouvelle Évangélisation, avec un dévouement
central envers ceux qui sont blessés par la pauvreté;
les grands consignes données par le Pape Jean-Paul II, nous
appelant à aller à la rencontre du Christ vivant et
à mondialiser la solidarité; la participation des laïcs
(ministres de la Parole, catéchistes); les écoles de
formation initiale et continue de diacres permanents; la pastorale
de la jeunesse; la pastorale vocationnelle, insérée
dans la pastorale organique des diocèses en étroite
relation avec la pastorale familiale et de la jeunesse; la pastorale
de la famille, sanctuaire de vie; la pastorale sociale : l’option
préférentielle pour les pauvres et le contenu évangélique
et théologique de la libération; l’esprit de communion,
de participation et de coresponsabilité manifesté dans
les innombrables CEB et dans les ministères laïques, ainsi
que la multiplication des conseils pastoraux; l’autofinancement
des Églises particulières; le dialogue œcuménique
et interreligieux, spécialement avec les communautés
juives.
III. Disciples et missionnaires de Jésus-Christ (36-93)
36. À Puebla, Jean-Paul II a attiré notre attention
sur la vérité de Jésus-Christ, de l’Église
et de l’homme.
37. Cette vérité renvoie à l’identité,
à la vocation et à la mission chrétiennes, dans
la réalité de ce continent sur laquelle, récemment,
le CELAM s’efforça d’apporter un meilleur éclairage,
à travers une étude sur les «mégatendances»
de notre temps et sur la mondialisation .
38. Le thème de la Cinquième conférence se situe
dans cette perspective.
A. Par la rencontre de Jésus-Christ vivant, ses disciples
et ses missionnaires
39. La rencontre avec Jésus-Christ est la raison, la source
et le sommet de la vie de l’Église ainsi que le fondement
du disciple et de la mission.
40. Jésus-Christ est et sera toujours la «véritable
nouveauté qui surpasse toutes les attentes de l’humanité».
42. La rencontre avec le Seigneur nous introduit dans les dimensions
les plus profondes de la Vie.
43. La V Conférence nous offre une nouvelle opportunité
pour réfléchir sur la profondeur de notre rencontre
avec Jésus-Christ vivant et sur l’intensité de
notre ardeur missionnaire.
A. Disciples de Jésus-Christ
44. Même si nous maintenons les grands objectifs des conférences
générales précédentes en ce qui a trait
à la Nouvelle Évangélisation, nous croyons nécessaire
d’aller de l’avant pour parvenir au sujet qui répondra
aux grands défis de notre temps.
45. Le disciple de Jésus-Christ est quelqu’un qui a
reçu le Seigneur rempli de stupeur.
46. La première expérience du disciple consiste en
l’appel personnel que lui fait Jésus et dans la volonté
de le suivre qui naît en lui et qui le pousse à donner
une réponse confiante et amoureuse, qui l’amène
à se configurer à Lui. Cette réponse le lie immédiatement
à une communauté de fidèles, où il discerne
bientôt quelle est sa mission dans l’Église et
la société.
49. L’élection et l’appel du Christ demande à
être entendus des disciples.
50. Il s’agit d’une réponse d’amour à
un appel d’amour.
51. Le disciple entre en communion de vie et de mission avec Jésus-Christ.
52. Pour que cette communion avec Lui soit toujours plus complète,
Jésus-Christ s’est livré à ses disciples
comme Pain de vie éternelle et Il les invita dans l’Eucharistie
à participer à sa Pâque.
55. La formation du disciple de Jésus-Christ doit avoir comme
but de s’identifier à Lui, être disciples de la
Parole qui existait au commencement.
58. Dans la vie sacramentelle, le disciple de Jésus-Christ
rencontre la présence et l’action salvatrice de Jésus.
59. Un itinéraire de formation chrétienne qui comporte
plusieurs étapes essentielles: l’annonce de la parole,
l’accueil de l’Évangile qui mène à
la conversion, la profession de foi, le baptême, l’effusion
de l’Esprit Saint et l’accès à la communion
eucharistique.
64. Marie de Nazareth, première disciple parfaite qui depuis
l’Incarnation grava dans son cœur l’Évangile.
65. En Marie nous rencontrons toutes les caractéristiques
du disciple : l’écoute amoureuse et attentive, l’obéissance
sans limite à la volonté du Père, la fidélité
jusqu’à accompagner son Fils au pied de la croix.
C. Disciples en communion ecclésiale
66. L’appel et l’amour de Jésus-Christ pour ses
disciples, crée en eux la communion fraternelle, une communauté
unie en Jésus-Christ.
69. Une communauté unie est la condition nécessaire
à la formation du disciple: maison et école de communion
et de solidarité.
70. Le disciple ne peut vivre sans le Dimanche, sans la rencontre
avec le Christ, vivant dans sa Parole et son Eucharistie.
71. La vie de communion des disciples démontre son unité
à travers la diversité et la pluralité des nations,
langues, races et coutumes: nous rappelant qu’elle est à
l’image du Dieu unique et Trinitaire.
72. La tâche de construire la communion ecclésial pour
que l’Église croisse comme «maison et école
de communion», se réalise de manière organique
au moyen de divers ministères, charismes et services et avec
la collaboration de tous.
73. Un rôle particulier correspond aux différentes formes
de mouvements et autres associations ecclésiales qui expriment
dans toute leur diversité les dimensions multiples de la vie
chrétienne. La vie paroissiale et la diocésaine doivent
exprimer, dans les faits, leur caractère de «communauté
de communautés et mouvements».
74. L’identité et la mission du prêtre se fondent
dans la rencontre avec Jésus-Christ vivant et dans sa suite
comme disciple, elles se déroulent dans le vécu de la
communion presbytérale avec l’évêque et
se projette dans la charité pastorale.
75. Sur le chemin du disciple, la vie consacrée occupe une
place irremplaçable. Il s’agit d’une «manière
particulière de suivre le Christ, pour se consacrer entièrement
à Lui avec un seul cœur», «être avec
Lui et se mettre, comme Lui, au service de Dieu et des hommes».
76. Pour mener à terme cette tâche, il est nécessaire
de recourir à des projets de formation exigeants et différenciés
pour tous: évêques, prêtres, diacres permanents,
consacrés et laïcs.
D. Disciples pour la mission
78. «Il m’a choisi pour annoncer la bonne nouvelle aux
pauvres…» «Comme le Père m’a envoyé,
je vous envoie».
79. À un autre moment, Jésus exprime définitivement
le caractère missionnaire de chaque disciple: «Allez
et faites des disciples dans toutes les nations».
80. Pour qu’il grandisse avec Jésus dans le baptême
et soit fait membre de l’Église, naît chez le disciple
le sentiment d’appartenance par lequel il assume l’édification
et la mission de l’Église.
82. L’expérience de proximité et de conversion
que vit le disciple le prépare à rendre témoignage
devant ceux qui ont été baptisés et le pousse
à sortir à la rencontre de ceux qui ont soif de Dieu
et ne connaissent pas son visage.
83. La rencontre avec Jésus et être son missionnaire,
préparent le disciple à s’approcher des différents
groupes culturels: indigènes, afro-américains et immigrants,
en recherchant une meilleure inculturation de la liturgie.
84. Pour cela, il est nécessaire de se faire pauvre en esprit,
pour pérégriner par les chemins des Béatitudes,
dans la perspective de la kénose du Christ.
85. Les disciples furent appelés à demeurer dans l’amour
du Christ, et de manière particulière dans son amour
miséricordieux et préférentiel pour les pauvres.
Le disciple se trouve ainsi pressé de vivre l’authentique
solidarité.
86. Les bâtisseurs de la société méritent
une attention particulière, appelés à défaire
les structures marquées par le péché et à
travailler pour un nouvel ordre social, plus juste, équitable
et incluant.
87. Autres urgences: la défense de la vie, depuis la conception,
de la famille, de la participation politique, la défense du
droit au travail, la distribution équitable des biens.
88. Les disciples de Jésus-Christ sont appelés à
vivre et à proposer un autre chemin : celui de la dignité
humaine et de la liberté, de la participation, de la solidarité
et de l’ascèse.
89. Il existe aujourd’hui dans notre culture une résistance
très forte à regarder en face le mystère de la
croix dans la vie personnelle et étrangère. Le disciple
est appelé à proposer, par le témoignage de sa
propre vie, la valeur de prendre la croix et de suivre le Maître.
90. La fidélité des frères et des sœurs
d’Amérique latine et des Caraïbes qui a fait du
XXe siècle un siècle de martyrs, nous remplit le cœur
de gratitude.
91. Un autre domaine prioritaire pour les disciples de Jésus,
c’est la recherche d’unité entre tous ceux qui
croient en Jésus-Christ (travail œcuménique).
92. Dans l’Église qui chemine en Amérique latine
et dans les Caraïbes, chacun est appelé à être
missionnaire par sa prière et ses initiatives, pour faire en
sorte que l’Église envoie de nombreux missionnaires «ad
gentes» pour porter la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ
à d’autres peuples et continents.
IV. Le début du troisième millénaire
(94-158)
A. Nous vivons au milieu des douleurs de l’enfantement
d’une époque nouvelle.
94. De fait, l’Amérique latine et les Caraïbes
sont mis au défi par les changements religieux, éthiques
et culturels qui indiquent les douleurs de l’enfantement d’une
époque nouvelle.
95. Autour de nous, il y a des signes du crépuscule d’une
ère de l’humanité qui se termine et de l’aurore
d’une époque nouvelle.
96. Des phénomènes nouveaux nous invitent à
faire un discernement.
97. Comme premier donné de ce changement d’époque,
nous observons que l’être humain a atteint le macrocosme
(conquête spatiale) et le microcosme (recherche génétique).
98. Également, la relation avec la nature a été
transformée: nous prenons conscience de l’interrelation
et de l’interdépendance des êtres entre eux, une
réalité que l’être humain doit accepter
et respecter.
99. Si on désire faire la promotion d’une authentique
«écologie humaine»; il est nécessaire de
prendre conscience que cela est essentiel à la famille, elle
qui souffre les assauts les plus forts de l’histoire.
100. La mariage est violenté par la séparation entre
l’amour, la sexualité et la procréation.
101. Ainsi, se transforme le sentir en ce qui concerne l’identité
et la mission de la femme: depuis la maternité, des espaces
s’ouvrent vers le monde social sans tomber dans une simple compétition
avec l’homme.
102. Les changements nous ont fait passer de l’ère industrielle
à la société de la connaissance et de l’information.
103. Les progrès de l’information et de la technique
qui ont accéléré les processus de production,
ne sont pas toujours au service de l’être humain, c’est
pourquoi s’accroissent les inégalités entre ceux
qui possèdent le capital et la connaissance et les plus pauvres.
Grandit le nombre des exclus.
104. Ceux-ci et de nombreux autres changements affectent directement
ou indirectement la recherche de la vérité et avec cela,
les comportements éthiques. On tend à penser que le
vrai et bon sont ce que l’individu établit, ou ce qui
lui est agréable et lui procure du plaisir et favorise la consommation,
tombant dans une éthique individualiste fondée sur «sa
propre vérité».
105. Il existe une tendance à émanciper la liberté
de la vérité et du bien.
107. Advient une conscience contraire à toute discrimination;
fréquemment étrangère à la vérité
et au bien.
108. Le processus de changement actuel provoque un profond déracinement,
produisant une grande insécurité, de la confusion et
même de l’angoisse.
109. Dans le domaine religieux, il existe de nouvelles tendances,
comme celles qui ne contemplent que l’aspect émotionnel
de la croyance religieuse et de nouveaux fondamentalismes.
110. Face à cela, il semble que la proposition chrétienne
doit s’arrêter devant le fait le plus décisif de
l’histoire. Apparaît la pertinence unique de la révélation
de Dieu en Jésus-Christ, «centre du cosmos et de l’histoire».
111. Le message d’espérance, c’est Jésus-Christ
qui vainc par la croix.
B. La mondialisation, un défi pour l’Église
112. En ce changement d’époque, nous constatons que
la mondialisation est un phénomène réel et complexe
.
113. Ses caractéristiques les plus significatives sont: la
communication mondiale, l’enrichissement du savoir, les percées
technologiques, la rapidité avec laquelle se produise les changements,
la création de nouveaux paradigmes.
114. La mondialisation contient des aspects négatifs, mais
elle sera ce que nous en ferons.
115. Mais la mondialisation, telle que nous l’expérimentons
actuellement, en plus de produire des effets intégrateurs,
s’accompagne de tensions à cause des asymétries
propres à ce processus.
117. De manière simultanée, dans le processus en cours
avec la mondialisation, nous pouvons constater un autre processus,
celui de la base, de la défense de l’identité
culturelle, de la nature et des organisations et des groupes de défense
des droits humains oubliés, ou de production, de consommation,
d’échange, de financement, etc.
118. La globalisation économique génère des
richesses et en même temps, de manière plus ou moins
systématiques, de la pauvreté et de l’exclusion.
119. La destruction progressive et inquiétante de l’environnement,
dans un continent qui continue d’être une des régions
les plus inéquitables du monde ; la brèche entre les
riches et les pauvres s’élargit au lieu de diminuer et
se maintient une grave injustice sociale qui blesse le possible développement
humain de millions d’habitants.
120. La globalisation des moyens de communication sociale a transféré
une part importante du pouvoir aux propriétaires et aux communicateurs
lesquels se transforment en facteurs significatifs du modelage des
mentalités et des cultures, en influents opérateurs
des changements de valeurs.
121. Il se produit une altération de l’identité
culturelle de presque tous les peuples : on fait la promotion du culte
de la personne, de l’argent et du plaisir.
123. La mobilité humaine, interne comme internationale, s’accroît.
C. Les espoirs et les peines de nos peuples nous interpellent.
125. Le phénomène de la mondialisation et l’avancé
des communications ont permis une plus grande ouverture sur le monde,
produisant dans le sens des peuples une rupture en ascension en ce
qui a trait au patrimoine culturel, aux valeurs traditionnelles et
à son style de vie.
126. Dans nos pays, continue la scandaleuse persistance de la pauvreté,
de la misère et du chômage, dans un continent formé
majoritairement de chrétiens, où demeurent présents
chez les pauvres les grandes vertus comme la solidarité.
127. Dans la conscience de plusieurs pays, s’est fait plus
forte l’appel à une juste participation des peuples indigènes
aux bénéfices et à la conduite de la société,
ce qui implique le respect de leur culture et de leurs formes ancestrales
d’organisation.
128. Les nouvelles réformes dans l’éducation
démontrent un réductionnisme anthropologique puisqu’il
conçoit l’éducation en fonction de la production,
de la compétitivité et du marché.
129. L’État rencontre des difficultés à
réaliser son engagement envers le bien commun, pressé
par les systèmes financiers et par les corporations transnationales.
130. On constate la prédominance de la démocratie formelle,
avec une présence insuffisante de la démocratie comprise
comme culture de participation, de solidarité et de subsidiarité.
131. Les gens sont lassés de la faiblesse de leurs gouvernants.
On constate une tendance croissante à applaudir l’avènement
de leaders messianiques ou caudillos d’apparence populiste.
132. Dans le dessein des politiques d’État, ne prévaut
pas la conception chrétienne de l’autorité, accompagnée
d’une vie sobre qui veille au bien commun.
133. Apparaissent palpables, une certaine crise des institutions
politiques et l’émergence d’une société
civile organisée de manières différentes, ainsi
que la décadence et l’atomisation des partis politiques,
sans identité ni programme.
134. Ce phénomène est associé à la perte
de crédibilité des serviteurs publics, qui engendre
l’ingouvernabilité et des scandales de corruption.
135. La corruption publique et privée se sont accrues de manière
alarmante, favorisant l’impunité et l’enrichissement
illicite, freinant le crédit et l’investissement honnête.
136. Il existe une éducation déficiente pour le travail
honnête et l’exercice de la coresponsabilité et
des responsabilités civiques de base.
137. Dans certains pays, une grave détérioration est
la conséquence de la production de drogue et du narco-trafique,
alimentés par la demande des pays développés,
fruit de la tolérance et de la légalisation de la consommation.
138. Divers groupes de guérilla se nourrissent du narco-trafique,
de l’enlèvement et de trafics illicites dont la contrepartie
est le terrorisme d’État.
139. La faible consolidation des processus démocratiques
retardent l’intégration de l’Amérique latine
et des Caraïbes.
D. Les catholiques et l’Église ont aussi d’autres
défis.
141. Malgré qu’il se trouve menacé par la société
mondialisée, le substrat catholique de notre culture demeure
toujours présent.
142. Cette sève catholique s’est exprimée par
une riche religiosité et piété populaires, avec
une profonde confiance dans la Providence, dans l’Esprit Saint,
dans le Christ crucifié, dans Marie, dans les saints et dans
le Pape.
143. Cette sève est également présente dans
le profond sens de la famille, de l’hospitalité, de la
solidarité dans les malheurs, le sens de la justice, de même
que dans le respect de la vie.
144. Il se produit une nouvelle valorisation de la religion comme
un bien social important.
145. Cependant, dans les dernières décennies, on observe
également une diminution de la foi et un affaiblissement de
l’engagement de nombreux croyants envers l’Église
et leur propre foi; apparaît une mentalité qui dans la
pratique se passe de Dieu, marquée par le relativisme, le pragmatisme
et l’hédonisme.
146. Émerge avec une force rénovée un laïcisme
militant qui nie aux croyants la possibilité de manifester
publiquement selon leurs convictions et d’agir en accords avec
celles-ci.
147. Dans cette ambiance relativiste et laïciste se répand
une agressivité nouvelle, ouverte ou larvée, contre
l’Église, surtout dans la libération des coutumes
et des lois.
148. L’échec de la culture moderne et celui d’une
pastorale qui soutient et alimente l’identité catholique,
ont donné lieu à un marché mouvant d’alternatives
religieuses et à un prosélytisme contre l’Église
catholique.
150. Comme présence de l’Église, il nous en coûte
d’être prophète et d’annoncer Jésus
et l’Évangile de manière proactive, il nous en
coûte de reconnaître ensemble les véritables menaces,
celles qui contredisent les codes de la félicité que
Dieu nous a livrés.
151. L’Église se rend présente dans la société
par ses moyens habituels d’évangélisation : paroisses,
CEB, mouvements ecclésiaux, instituts de vie consacrée,
écoles, universités.
152. Dans le champ social, se remarque la promotion et la défense
des droits humains, individuels et sociaux ou politiques, l’accompagnement
des peuples indigènes, la formation de citoyens pour la construction
d’une démocratie et le service permanent de l’action
sociale dans des domaines comme l’éducation, la santé,
le logement, et les services carcéraux, etc.
153. L’Église voit avec une grande préoccupation
la violation des droits fondamentaux des migrants, des réfugiés
et des déplacés.
154. Cependant, nous avons négligé la formation des
laïcs pour ordonner les réalités temporelles, ils
présentent des positions éthiques faibles et ne parviennent
pas à remplir leur responsabilité dans le monde avec
une cohérence chrétienne, ni ne se s’orientent
selon la Doctrine sociale de l’Église.
155. Dans les derniers dix ans, il y a une diminution du nombre de
catholiques, dans certains pays jusqu’à 10%.
156. Parmi les laïcs, diminue la réception des sacrements,
principalement la célébration du mariage. On assiste
aussi à une désacralisation du dimanche et il y a urgence
d’entreprendre une formation catéchétique plus
large et plus profonde.
157. L’exode des catholiques vers les communautés pentecôtistes,
démontre la recherche d’une expérience communautaire
plus étroite pour éviter la solitude et l’isolement.
La recherche d’expressions religieuses plus émotives
et l’opportunité d’une plus grande participation
au sein de communautés plus petites.
158. Pour ces personnes qui abandonnent l’Église, il
est nécessaire de trouver de nouvelles formes et expressions
de la présence et de la participation dans la communauté.
V. Pour que nos peuples aient la Vie en Lui (159-174).
160. Au milieu des promesses de Dieu, l’élection, qu’il
fait de nous, nous saisit et l’envoi que nous faisons nôtre
avec une force grandissante à devenir lumière du monde
et sel de la terre, des instruments de sa justice, de sa miséricorde
et de sa paix. Nous sommes appelés à prendre résolument
dans nos mains la mission qu’Il nous a confiée, pour
que «nos peuples aient la Vie en Lui».
162. L’Église sait que sa mission prolonge dans l’histoire
la mission du Christ, incorporant à la vie, à la passion
et à la résurrection du Christ, le Seigneur de la vie.
163. La vie nouvelle dans le Christ nous incorpore à la communauté
des disciples et des missionnaires du Christ et de l’Église.
167. Nous voulons surmonter les misères et les manques des
habitants de notre continent, avec un dévouement préférentiel
envers les plus tourmentés, et contribuer à la formation
de personnes capables de gouverner et de motiver dans l’engagement
effectif envers le bien commun.
168. Il apparaît urgent de promouvoir une culture de la vie
: par le respect à la vie, la création de familles qui
soient des sanctuaires de la vie.
169. Le document est ouvert à recevoir plusieurs propositions
de tous les pays, contributions qui doivent être envoyées
par les conférences épiscopales.
173. La V Conférence veut susciter une Grande Mission Continentale.
174. Les lectures des Actes des Apôtres nous présentent
l’expérience de différents styles de mission,
lesquelles sont des modèles qui nous servent aussi dans le
troisième millénaire.
2. Commentaire analytique du document de participation
Une fois revu le document au moyen d’une présentation
télégraphique et synthétique, évidemment
sans pour autant dispenser de sa lecture, nous proposerons quelques
commentaires analytiques dans le but d’aider à son étude.
À partir d’une vision d’ensemble des contenus,
nous verrons quelle est la proposition de fond du document et son
approche, c’est-à-dire, quelle est sa vision du monde,
de l’être humain, de l’Église, en bref, quelle
théologie sous-tend ce document. Faisant cela, nous ne prétendons
pas chercher à influencer les décisions des communautés
ecclésiales dans leur processus de participation à la
préparation de la V conférence, sinon simplement les
aider à réfléchir sur ses contenus et les habiliter
à l’enrichissement du document. Le CELAM lui-même
spécifie, dans l’introduction du texte, que le document
préparatoire «n’est pas le résumé
du document final», à peine se présente-t-il comme
«une proposition incomplète», en attente de la
contribution de tous.
Dans cet abordage, analytique mais aussi synthétique, du document,
nous proposerons trois classes de commentaires: une, sur l’ordre
des contenus et l’approche méthodologique; une autre
sur les contenus des cinq chapitres du texte; et une troisième
sur la relation du document avec la tradition latino-américaine
et caraïbe, qui, nous le savons, se reconnaît historiquement
comme une «réception créatrice» du Concile
de Vatican II.
2.1 L’ordre des contenus et l’approche méthodologique
La question méthodologique n’est certes pas un problème
secondaire. La méthode, en tant que «chemin» (odos),
n’est pas qu’un simple instrument en marge du produit
final du travail sur un objet particulier. Il n’existe pas de
méthode indépendante et neutre du contenu véhiculé
à travers elle. En d’autres mots, la méthode est
aussi message, tout autant que contenu. En tant que chemin, elle est
porteuse d’une intentionnalité et, théologiquement
parlant, nous dirions qu’elle est révélatrice
d’une cosmovision qui a une incidence directe sur les contenus,
et surtout, sur le type d’action qu’elle vise.
2.1.1 La logique du contenu du document
Le document préparatoire présente et ordonne son contenu
en cinq chapitres qui configurent un tout à partir de certaines
options théologiques préalables, au sujet du monde,
de l’être humain, de l’Église et de la conception
de Dieu, spécialement de la christologie. Voyons-le en détail
:
L’être humain aspire au bonheur.
L’Église en Amérique latine et aux Caraïbes
est le fruit de l’accueil de Jésus-Christ comme réponse
à cette aspiration.
La rencontre avec J.C. mène à devenir disciple et
missionnaire.
La mission, aujourd’hui, se développe dans un monde
en transformation (en douleurs d’enfantement).
Pour que «en Lui, nos peuples aient la vie», l’Église
propose une «Grande Mission Continentale».
La logique du document semble être la suivante : tout d’abord,
et aujourd’hui plus que jamais, tenant compte de l’anémie
spirituelle de notre temps, nous retrouvons un grand désir
de sens, de ce dont «l’irruption du religieux» est
une confirmation incontestable. Le sens est étroitement lié
à la question du bonheur. Ce qui, au sein de la modernité,
dans une grande mesure, s’exprime dans la surconsommation, le
prestige et l’hédonisme. (Chapitre I).
Dans le second chapitre, l’Église en A.L. et C. possède
la réponse à cette recherche de bonheur. Reçue
il y a cinq siècles, même si ce fut au milieu de contradictions,
la réponse se nomme Jésus-Christ et son Évangile.
Le « substrat catholique» de notre culture donne l’assurance
de cette rencontre avec Jésus-Christ, favorisée par
tant de missionnaires héroïques. (chap.II)
Dans le troisième chapitre, nous voyons qu’aujourd’hui,
tout autant qu’hier, il est nécessaire de prendre conscience
du fait que la rencontre avec Jésus-Christ nous amène
à devenir disciples et missionnaires. Ce qui veut dire que
depuis l’expérience personnelle et communautaire avec
le Christ vivant, la rencontre nous convertit en missionnaire préoccupé
de faire vivre, chez tous, la même expérience capable
de leur apporter le bonheur (chap. III). Dans notre continent, cette
mission s’est développée dans un monde marqué
par de profondes transformations : d’un côté, par
la globalisation discriminatoire qui engendre des exclus; et, de l’autre,
par le pluralisme qui entraîne le relativisme, principalement
dans l’ordre des valeurs morales (chap. (IV).
Pour une bonne part, ces transformations contredisent l’idéal
évangélique et éloignent les fidèles de
l’Église. Voilà pourquoi il est urgent de convoquer
tous les catholiques à une «Grande Mission Continentale
», afin que tous nos peuples aient la vie en Jésus Christ
(chap. V).
Comme on peut le constater, la logique argumentative est la suivante:
on part de la soif de sens; on va à Jésus-Christ qui
est la réponse dont l’Église est la dépositaire;
de l’expérience de JC dans l’Église nait
le disciple et la mission; mission à réaliser dans un
monde grandement hostile à l’Église au moyen d’une
Grande Mission Continentale. C’est un processus déductif
dans la mesure où la réalité apparaît seulement
au quatrième chapitre et apparaît comme point d’arrivée
de la mission et non pas comme point de départ. Il semblerait
ainsi que le point de départ est l’être humain
assoiffé de bonheur que nous retrouvons dans le chapitre premier.
Cependant, tant que cet être humain ne présente pas son
visage concret, alors il ne peut être reconnu que comme catégorie
universelle, et le véritable point de départ est la
«recherche du bonheur». Mais le bonheur n’est-il
pas une réalité concrète ? Oui, si les désirs
possédaient une référence concrète. Cependant,
ils sont aussi conçus de manière générique,
caractérisés comme faim d’amour et de justice,
de liberté et de vérité, comme soif de contemplation,
de beauté et de paix, ambition de plénitude humaine,
aspiration à un foyer et à la fraternité. De
là, Jésus Christ est vu comme une réponse à
ce désir, et l’Église elle-même dans son
être et sa mission.
Et où est l’Église? Elle apparaît au second
chapitre, et par conséquent avant la réalité
sociale présentée au quatrième. Ceci nous amène
donc à voir, d’une part, le monde depuis l’Église,
en le privant de son autonomie et de sa spécificité
propres, objet des sciences sociales; et d’autre part, situe
l’Église hors du monde, ou pour mieux dire, au-dessus
de lui et non pas dans le monde en faisant partie de lui, comme le
fait Vatican II (GS 40).
Jésus-Christ, en tant que réponse, se retrouve avant
la question sur la réalité, exposée au chapitre
quatre. Et le fait est que, indépendamment de la réalité,
la réponse du disciple consiste à être missionnaire,
c’est-à-dire, à sortir de l’Église
pour attirer les personnes au dedans puisque le Christ est la réponse.
Sauf que, comme nous le verrons, il s’agit à son tour
d’un Christ sans Jésus dans la mesure où sa réponse
consiste en une «plénitude de vie» métahistorique,
le bonheur des personnes de la Trinité (n.3).
2.1.2 L’approche méthodologique et son incidence
sur la compréhension des contenus
Cette posture méthodologique, évidemment, possède
une incidence sur les contenus. Medellin, dans la perspective de Vatican
II, avait affirmé que tout engagement pastoral surgit d’un
discernement de la réalité (15,36). D’après
Gaudium et Spes, l’identification des «desseins de Dieu
» sur la réalité et les engagements pastoraux
subséquents, surgissent d’une lecture des signes des
temps. (GS 11). En d’autres mots, dans la perspective de la
rationalité moderne et du Concile, c’est la réalité
qui fournit la matière première à la réflexion
théologique et pastorale. Surtout pour la théologie
latino-américaine et caraïbe, la réalité
n’est plus le lieu d’atterrissage de l’orthodoxie,
mais source créatrice d’idées puisque l’histoire,
en tant que lieu de la révélation divine, est un véritable
lieu théologique. L’action ecclésiale ou la mission
sont des réponses qui, pour être efficaces, dépendent
de l’identification préalable des questions.
La méthode déductive qui traverse tout le document
transmet une vision essentialiste de la vérité, sur
laquelle l’histoire n’a aucune incidence. Il s’agit
d’une vérité qui ne passe pas par la vérification,
c’est-à-dire, par sa confirmation historique. Comme l’Église
la possède déjà, la révélation
est davantage un «dépôt» à préserver
et à communiquer, qu’un mystère qui demande à
être continuellement approfondi. Il est nécessaire de
ne pas perdre de vue que l’Église n’est pas celle
qui possède la vérité, c’est la Vérité
qui la possède et la dépasse infiniment. Sinon, la mission
consisterait fondamentalement à annoncer un kérygme
déjà compris, auquel servirait davantage le catéchisme
plutôt que la Bible, puisque celle-ci, hors de l’instance
du magistère, se trouve à la merci des subjectivités
et de ses multiples vérités. Dans cette perspective
missionnaire, il y a un mouvement ad extra, mais en vue d’un
ad intra, un mouvement centripète, propre à la mentalité
de chrétienté, au lieu d’être centrifuge
qui dépasse tout ecclésiocentrisme.
En suivant un chemin inductif, et cela, même à l’intérieur
de la théologie, Vatican II a souligné la mise entre
parenthèse du processus déductif. Ainsi, conformément
à la méthode de la rationalité moderne, l’ordre
des chapitres devrait être: partir de la réalité
sociale et, de là, explorer la réalité anthropologique
et de l’Église; puis aller à la révélation
chargée des questionnements de la réalité de
sorte que la Parole de Dieu «soit salut pour nous aujourd’hui»
comme l’affirme le document Dei Verbum ; ensuite, se retrouver
avec Jésus de Nazareth, plénitude de la Révélation
et prémices du Royaume de Dieu, en tant que Christ Ressuscité;
et, pour finir, se mettre en attitude de service et de dialogue avec
toutes les personnes de bonne volonté, moyennant une action
évangélisatrice qui puisse contribuer à l’édification
du Royaume de Dieu, qui, en sa dimension historique, puisse se représenter
en une société nouvelle en Amérique latine et
aux Caraïbes.
2.2. Le contenu des cinq chapitres du document
À grands traits rapides, nous jetterons un regard analytique
sur les contenus de chacun des cinq chapitres. Notre objectif cherche
à attirer l’attention sur leurs limites, silences et
vides et notre intention est de le mettre en évidence dans
notre analyse.
2.2.1. Chapitre I : L’anthropologie et la christologie
A. L’anthropologie
Le changement anthropologique opéré par la modernité
au Concile de Vatican II a signifié surtout un dialogue avec
l’être humain athée, avec le «non-croyant».
À Medellin on a mis en évidence ce que Vatican II avait
laissé en suspens: «une Église des pauvres pour
être l’Église de tous» (Jean XXIII). Le document
préparatoire propose, comme point de départ, «l’homme
en perte de sens» ou dit de façon plus concrète,
en recherche de bonheur (n.1). Le bonheur est réellement une
question importante pour l’être humain actuel. Sauf que
la compréhension du bonheur est bien différente pour
un riche ou pour un pauvre, par exemple. On a l’impression que
l’humain du document est un sujet riche, fatigué et vidé,
absorbé par la technologie et la consommation, en crise de
sens, en crise existentielle (n.2). Pour les pauvres, en retour, la
crise en est une de survie ou de survivance et non pas de simple existence.
Puebla avait vu l’être humain latino-américain
et caraïbe avec des visages très concrets, en particulier
des visages de pauvres (DP 31-39). Le document préparatoire
parle d’un humain sans visage, comme s’il était
une catégorie, une essence, au-delà de la contingence
d’une histoire dans le quotidien de la vie. Tant que l’être
humain du document ne présente pas le visage concret de l’indigène,
du noir, de la femme, du travailleur, du chômeur, du sans-terre
ni toit, de l’enfant, etc., et leur désir de bonheur,
tant qu’il n’est pas saisi dans ses préoccupations
palpables comme le pain, le toit, l’éducation, le travail,
la santé, l’accueil, etc., il demeure davantage au niveau
de l’essence que de l’existence. Pour les pauvres, l’expérience
religieuse elle-même en tant que salut passe par la plénitude
de la vie, de la vie matérielle inclusivement. Sinon, on le
verra adhérer à des mouvements religieux autonomes,
spécialement au néo-pentecôtisme où le
salut se confond avec prospérité matérielle,
santé physique et psychoaffective.
Nous ne devons pas perdre de vue que le tournant anthropologique
opéré par la modernité, est un effort important
dans le dépassement du théocentrisme de la chrétienté.
On l’a vu quand Heidegger, en se basant sur Hegel, le découvreur
de l’histoire, a caractérisé l’être
comme temps. Jusqu’alors l’anthropologie se confondait
avec la métaphysique, essentialiste, a-historique.
B. La christologie
Le Christ du document c’est le Ressuscité, le Roi, le
Vivant, le Chemin, la Vérité et la Vie. Cependant, le
Sauveur du peuple exclu c’est le Souffrant, non pas Jésus,
le Mort du Vendredi Saint. Ce n’est pas non plus qu’on
doute du Ressuscité, ou bien qu’il ne soit pas Vivant,
mais si Jésus est solidaire de la souffrance de son peuple,
Lui aussi doit être souffrant. Impossible que tout ne soit que
gloire pour un Dieu dont les fils sont écrasés par l’oppression
et l’injustice. Le danger le plus grand dans la christologie
n’est pas tant un Jésus sans Christ, sinon un Christ
sans Jésus.
Voilà où se situe le déficit christologique
du document. Il s’agit de chercher à situer l’oeuvre
salvatrice de Jésus dans l’aujourd’hui de la réalité
latino-américaine et des Caraïbes; de mettre en relation
son message avec les contradictions dans lesquelles nous vivons dans
notre contexte et pas simplement affirmer l’action rédemptrice
en elle-même. Si on suit le dynamisme du mystère de l’Incarnation,
on ne peut pas s’empêcher de mettre en relation le Christ
avec Jésus qui prolonge sa passion dans l’histoire, «étampée»
dans le front de tant d’êtres défigurés.
La perspective de Mathieu 25,31-46 aide à accueillir, vivre
et servir Jésus-Christ, non pas comme une réalité
purement transhistorique, sinon dans le quotidien de la vie. L’Évangile
contextualisé dans notre réalité est une Bonne
Nouvelle d’un Jésus prophète en faveur de la justice
et de la fraternité, qui a vécu la solidarité
avec les victimes jusqu’à la fin et dont la conséquence
fut la mort en croix. La croix n’est pas un moyen, elle est
la conséquence du don de la vie pour tous, car la souffrance
ne peut jamais se justifier par elle-même. Affirmer que le Christ
«apaise la soif de sens et de bonheur» (n. 5) c’est
dire peu et faire très distant.
2.2.2 Chapitre II : l’ecclésiologie
Avec Justin de Rome, le document reconnaît la présence
de «semences du Verbe» dans la vie des aborigènes
précolombiens et avec Eusèbe de Césarée,
l’étape précoloniale comme préparation
évangélique (n.22). Également, il reconnaît
et réitère la demande de pardon faite par Jean Paul
II pour les ombres survenues durant le processus de l’évangélisation
(n.27). Nonobstant, rendre compte des ombres à travers la dénonciation
des saints missionnaires en affirmant que «l’évangélisation
elle-même constitue une sorte de tribunal d’accusation
envers les responsables de tels abus» (n. 26), ne manque pas
de receler des relents d’une ecclésiologie préconciliaire.
En premier lieu, l’ecclésiologie conciliaire se fonde
sur la pneumatologie et non pas sur la christologie. Il est évident
que l’Église fut voulue et fondée par Jésus.
Mais elle trouve réellement son existence seulement lorsque
les apôtres, alors inactifs, devinrent actifs sous l’action
de l’Esprit, au jour de la Pentecôte. L’Église
n’est pas extérieure ni antérieure à l’action
de l’Esprit. La Tradition est l’histoire de l’Esprit
Saint dans l’histoire de l’Église.
En deuxième lieu, l’ecclésiologie du document
se ressent d’une christologie docétiste, selon laquelle
l’Église est conçue comme extension et histoire
du Christ glorieux. Dans cette perspective, Bellarmin concevait l’Église,
en tant que Corps du Christ, comme «Incarnation continuée».
Il s’agit dès lors, du Christ glorieux, sans Jésus,
et d’une Église divine, qui ne pèche pas, et si
elle pèche, ses péchés ne sont autres que des
fautes des «fils de l’Église», jamais de
l’Église comme telle, qui est essentiellement sainte,
parce que divine. Par contre, l’ecclésiologie de Vatican
II assume la dimension contingente de l’Église dans la
précarité du présent – ecclesiam semper
reformanda (UR 5; GS 40)- ou au dire des Saints Pères: casta
meretrix (LG8; GS 21.43).
Somme toute, le déficit ecclésiologique du document
se manifeste dans l’éclipse du Royaume de Dieu. Celui-ci
apparaît une seule fois dans le texte, mais en relation avec
l’Église et certes avec Jésus en citant la préface
de la solennité de la fête du Christ Roi (n.6). L’Église
se relie directement au Christ et prolonge sa mission, comme si Jésus
s’était prêché lui-même. Une Église
sans le Royaume de Dieu est une Église hors et au-dessus du
monde, centrée sur elle-même, propriétaire de
tous les moyens du salut. Après le Concile Vatican II, cependant,
on ne peut plus comprendre l’Église hors du trinôme
Église-Royaume-Monde, parce que ce sont trois réalités
qui s’interpénètrent (LG5; GS 40). L’Église
existe pour être signe et instrument du Royaume de Dieu dans
le Monde.
De même, on ne peut pas passer sous silence le fait que le
document, tout en faisant une rétrospective historique du cheminement
de l’Église pour identifier les signes d’espérance
présents en elle aujourd'hui (n. 34), présente un vaste
spectre de réalités ecclésiales, mais avec des
silences qui requièrent d’être brisés. Par
exemple : Il n’est pas fait mention des quatre conférences
générales antérieures de l’Épiscopat
latino-américain et des Caraïbes avec son riche magistère,
une tradition qui ne peut se perdre ; non plus, nulle part on ne mentionne
explicitement les martyrs des causes sociales, dans la lutte pour
la justice, qui furent des milliers et qui sont ce que l’Église
a de plus précieux en Amérique latine et aux Caraïbes
; dans le champ de la pastorale sociale, il n’est guère
fait mention du travail dans le domaine de l’écologie,
des travailleurs, des paysans, des enfants, des personnes âgées,
des femmes marginalisées, des malades, etc.; les CEB sont citées
comme une structure de participation, dépourvue de son esprit
et de sa nouveauté ecclésiologique, à peine comme
moyen pour obtenir de petites communautés.
La riche contribution de la réflexion biblico-théologique
est à peine citée au passage en évoquant le «contenu
évangélique et théologique de la libération».
Maintenant, en plus de nos martyrs, nous avons également une
théologie martyre qui, malgré la reconnaissance de ses
limites, confère à notre continent une tradition propre
à l’intérieur de la Tradition de l’Église
comme un tout, dans la mesure où une thèse comme l’option
pour les pauvres, péché social, foi et praxis, histoire
unique, libération comme salut, etc., enrichissent toute et
n’importe quelle théologie.
2.2.3 Chapitre III : La missiologie
Dans le document, tout converge vers la mission – «une
grande mission continentale» (n.173)-, ce qui est très
justifiable et nécessaire dans un monde toujours plus marqué
par l’exclusion et le sécularisme. Et l’on veut
parvenir à l’individu en faisant un pas de plus par rapport
aux conférences antérieures (n.44). Nonobstant, on préfère
parler de «mission» au lieu «d’évangélisation»,
et quand on mentionne celle-ci, elle apparaît comme «nouvelle
évangélisation», en grande mesure comprise comme
«proclamation du kérygme», sans prendre suffisamment
en compte sa réception et ses implications historiques. Le
terme «mission», dans une cosmovision traditionnelle,
s’insère dans le contexte de la mentalité ecclésiocentrique
de la chrétienté, d’un salut dans la sphère
strictement religieuse et interne à l’Église.
Dans la perspective d’ Evangelii Nuntiandi, en reliant le terme
«évangélisation» avec la promotion humaine
(EN31), on surpasse le caractère de chrétienté
en accueillant la catégorie «Royaume de Dieu» au
sein de l’ecclésiologie. D’où vient l’accent
majeur donné dans le document au sécularisme plutôt
qu’à l’exclusion sociale. La «mission»
est préoccupée par le salut, soit, mais, en le concevant
à partir de l’Église, elle se retrouve davantage
centrée sur celle-ci plutôt que sur le salut, qui, également,
peut survenir hors de l’Église. Même si le salut
ne se trouve pas hors de Jésus-Christ, il se peut qu’on
le trouve dans la sphère d’un Royaume au-delà
de l’Église.
On donne l’impression d’une mission qui fait fi des médiations
historiques pour la rencontre avec Jésus-Christ. Une mission
qui serait une prédication devant être accueillie en
son coeur, sans prendre suffisamment en compte une Parole qui doit
toujours être accueillie et lue au coeur d’une tradition,
précédée par l’expérience de cette
tradition et par le témoignage. Alors, la foi, avant d’arriver
à Jésus-Christ, passe par l’Église. Avant
de croire en Dieu, nous croyons en l’Église (en Église),
pour autant que la foi chrétienne soit toujours «croire
avec les autres en ce que les autres croient».
Cette perspective devient évidente dans le fait que la mission,
dans le document, apparaît avant la réalité et
après la partie sur l’Église. D’un côté,
on court le risque d’être une réponse à
des questions que personne ne se pose; et d’autre part, de confondre
la mission avec l’incorporation à l’Église,
au lieu de chercher à se centrer sur le Royaume de Dieu qui
va au-delà de l’Église et dont elle est signe
et instrument.
L’Évangélisation, dans la perspective de l’Evangelii
Nuntiandi, ouvre la mission aussi à l’inculturation (EN
63). Dans la mission traditionnelle, tout au plus on fait de «l’adaptation».
Dans l’évangélisation, on procède avec
le dynamisme de l’inculturation qui s’appuie sur le mystère
de l’Incarnation du Verbe qui nous assume pour nous racheter.
Une évangélisation qui n’observe pas ce processus
d’inculturation, n’est pas dialogique; et si elle ne l’est
pas, elle est imposition. Avant tout, évangéliser c’est
ne pas ignorer ni imposer.
2.2.4 Chapitre IV : La vision du monde.
Comme nous l’avons déjà signalé, après
le Concile Vatican II on ne peut plus comprendre l’Église
hors du trinôme Église-Royaume-Monde, comme trois réalités
qui s’interpénètrent. L’ecclésiologie
du document, en plus de ne pas faire référence au Royaume
de Dieu, ne voit pas l’Église à l’intérieur
du monde, faisant partie de lui, existant pour lui. De la même
façon, comme nous l’avons déjà vu, le monde
est traité après avoir regardé l’Église,
car il est point de chute, lieu d’atterrissage d’une orthodoxie
préalablement définie. Il n’est pas source d’inspiration
créatrice, lieu théologique, lieu d’interpellation
de Dieu (signes des temps), sinon scénario d’un salut
métahistorique.
Dans le document, deux aspects marquent la lecture de la réalité
du monde d’aujourd’hui : la transition vers une nouvelle
époque (94-111) et le phénomène de la mondialisation
(112-123). Il y a une bonne lecture de ces phénomènes
; sans toutefois en tirer les conséquences pour la mission.
Cela révèle qu’ils n’ont aucune incidence
sur elle. C’est plutôt la mission qui devra en avoir une
sur eux. Le premier nous amène à ne pas voir tout comme
clair et sûr, à ne pas posséder toutes les réponses.
Le second nous place dans une attitude de service, de recherche et
de dialogue au sein d’une société pluraliste,
dans laquelle les principes de l’Évangile, sur lesquels
une société pleinement humaine doit être bâtie,
nécessitent des médiations historiques pour devenir
réalité concrète. Les deux autres phénomènes
importants ne sont pas suffisamment pris en compte : le pluralisme
et la nouvelle rationalité émergente.
En ce qui concerne le changement d’époque et la mondialisation,
ces éléments ont tendance à être considérés
comme une menace pour l’Église (n. 147) ; et maintenant,
même s’ils l’étaient, ils ne sont pas les
seuls. De là découle une posture hostile, apologétique,
surtout face à la mentalité laïque et relativiste.
Le laïcisme doit être éradiqué (n. 146).
La mondialisation peut être améliorée (n. 114).
Pour faire face à ce monde on évoque le souvenir des
martyrs de «la fin du XIXe siècle au commencement du
XXe» (n. 28), justement ceux qui se sont confrontés avec
les États modernes, laïcs et rationalistes. On regarde
avec préoccupation les avancées du relativisme éthique
qui mène à une société postmoderne. On
voit peu de marge pour le dialogue, l’interaction, le service,
la recherche avec toutes les personnes de bonne volonté de
nouvelles réponses aux problèmes nouveaux. On a l’impression
que l’Église possède déjà toutes
les réponses et qu’elle pourra, seule, transformer ce
monde, spécialement s’il s’agit, pour une large
part, d’en faire un monde chrétien. Sur ce point particulier,
la grande nouveauté de Vatican II fut l’acceptation de
l’histoire dans son ambiguïté radicale, lieu d’interpellation
de Dieu au moyen des «signes des temps». Le monde est
création de Dieu. Le plan de la rédemption n’a
pas aboli le plan de la création, sinon qu’il l’a
récapitulé, selon le langage paulinien (Ef. 1,10), développé
avec ampleur par Irénée de Lyon.
La mission, dans cette perspective, court le risque de concevoir
le salut comme étant «séparer du monde»
au lieu de s’insérer en lui et de le recréer du
dedans, sur les traces du mystère de l’Incarnation. Le
monde n’a pas d’autonomie légitime: ou bien il
s’intègre et est absorbé par l’Église,
ou bien il est perdu, dans une mentalité typique de chrétienté
dans laquelle le sacré ne s’insère pas dans le
profane, à moins de cesser d’exister, se laissant absorber
par l’autre.
2.2.5 Chapitre V: la visée de la mission continentale.
La motivation majeure pour une «grande mission continentale»
(n. 173) n’est pas le fait qu’un continent chrétien
soit structuré de façon non chrétienne, engendrant
de l’exclusion, de l’oppression, de la faim, de l’injustice,
etc., et empêchant que le Royaume de Dieu et son salut surviennent
dans la vie personnelle et sociale. Il y a, par contre, une préoccupation
pour la décroissance du nombre des catholiques, qui sont passés
surtout aux mouvements religieux autonomes de type pentecôtisme
(n. 155), par conséquent, une préoccupation pas nécessairement
pour la qualité du christianisme, mais certes pour la visibilité
de l’Église catholique. Face à un tel défi
on a de la difficulté à aller aux causes réelles,
même de type structurel, de l’Église, et on donne
l’impression d’opter pour la dispute du marché
religieux avec les mêmes moyens des compétiteurs.
Pour le document, la mission est orientée à «ce
que tous aient la vie en Lui» – Jésus-Christ -.
La question est donc qu’est-ce qu’on entend par «vie»?
Même quand il est correct d’affirmer que Jésus
est la Vie», le concept correct est sujet à situer correctement
la christologie à l’intérieur de l’économie
du salut. Il existe une tendance à ne pas concevoir le «plan
de la rédemption» en relation avec le «plan de
la création», en ne mettant pas en relation de manière
adéquate évangélisation et promotion humaine.
Comme si seulement il y avait salut au plan de la rédemption,
en ne la saisissant pas comme «récapitulation»
du plan de la création, sinon presque comme sa substitution.
En plus, on ne distingue pas dans cette perspective la foi «en»
Jésus et la foi «de» Jésus. Comme s’il
n’y avait de salut que lorsqu’il y a foi «en»
Jésus, en tant qu’adhésion explicite à
l’intérieur de l’Église, et non pas aussi
quand il y a foi de» Jésus, c’est-à-dire,
vie des béatitudes même sans le savoir. La Vie «en
Lui» ne se donne pas uniquement quand il existe une adhésion
explicite à Jésus-Christ, sinon en même temps
lorsque se vit sa vie, même si on ne le sait pas, car toute
action dans l’Esprit converge vers le Christ. Pour cela, le
concept de «Vie» du Document a besoin d’être
élargi. Le salut demande d’être mieux articulé
avec l’histoire, la nouvelle société, la promotion
humaine, les réalités terrestres, etc., et en conséquence
la conversion personnelle avec la conversion structurelle, vie spirituelle
et vie temporelle, etc.
La mission, dans le Document, et nous l’avons déjà
signalé, donne lieu à penser qu’elle consiste
en l’incorporation de tous dans le Christ, qui équivaut
à incorporer tout le monde à l’Église catholique
(n. 162). Ce serait comme une sortie dehors pour attirer au-dedans.
Comme le Royaume de Dieu tend à se confondre avec l’Église,
celle-ci est l’instance du salut de Jésus-Christ; ce
qui justifierait de la situer comme point d’arrivée de
la mission (n. 163). Cela équivaudrait à dire que, de
fait, le point d’arrivée est Jésus-Christ, mais
comme l’Église est son corps, il n’y a pas de Christ
sans Église, ou plus exactement, il n’y a pas de salut
en Jésus-Christ hors de l’Église.
2.3 À titre de conclusion
La V conférence du CELAM et Caraïbes s’insère
dans la tradition des quatre conférences précédentes:
Rio de Janeiro (1955), Medellin (1968), Puebla (1979), Santo Domingo
(1992). La première fut marquée par le contexte de Nouvelle
chrétienté, c’est-à dire, d’apologie
face au monde moderne et d’une action de reconquête pour
la foi catholique, tributaire de l’ecclésiocentrisme
encore dominant. Medellin a situé l’Église du
sous-continent dans la perspective de Vatican II, en élaborant
une «réception créatrice» qui signifiait
faire du Concile un point de départ plus qu’un point
d’arrivée. Puebla cependant, fut déjà un
frein à la récente originalité d’alors,
d’une «tradition latino-américaine et caraïbe
», et cela fut encore plus vrai à Santo Domingo. C’était
le reflet du processus graduel de ce qui s’appelait «l’involution
ecclésiale» au sein d’une modernité en crise.
L’option pour les pauvres et la perspective libératrice,
qui se revendiquaient selon l’esprit du Concile, tendront à
être considérées davantage comme une idéologisation
marxiste que comme expressions concrètes et historiques de
l’évangile social de Jésus de Nazareth. La perspective
du Document préparatoire en vue de la Conférence d’Aparecida,
s’insère dans cette distanciation graduelle de la légitime
et originale tradition latino-américaine et caraïbe inaugurée
à Medellin, ou ce qui revient à dire, en dernière
instance, une distanciation des intuitions et axes théologiques
centraux du Concile Vatican II.
Il est nécessaire de récupérer les intuitions
et les axes théologiques centraux de Vatican II, et avec eux,
la riche «tradition latino-américaine et caraïbe
». De là l’importance de ce temps de préparation
de la V Conférence du CELAM, à travers le processus
des communautés ecclésiales, pour l’enrichissement
de la proposition du Document préparatoire.
Cinq points principaux pourraient servir d’axes d’orientation
à cet effort :
1. Poser la réalité comme point de départ et
non comme point d’arrivée, afin que le temporel ne perde
pas son autonomie et sa spécificité, spécialement
la particularité latino-américaine et caraïbe.
2. Expliciter la relation intrinsèque de la foi avec la praxis
libératrice, pour que la religion ne soit pas prédestinée
à continuer à être reléguée dans
la sphère privée d’une spiritualité intimiste.
3. Témoigner d’une religion transformatrice, ce qui
implique une Église vivante et prophétique qui réalise
dans les CEB un nouveau modèle d’Église, car elles
sont un modèle privilégié, au sein de la société,
d’articulation entre foi et vie, entre christianisme et citoyenneté.
4. Raviver l’option préférentielle pour les pauvres,
qui ne voit pas ces derniers comme des objets sinon comme des sujets
d’une société nouvelle, qui ne soit pas un travail
simplement prioritaire parmi tant d’autres sinon une optique
depuis laquelle on regarde tout de façon prophétique.
5. En autant que le salut se réalise dans l’histoire
et qu’il existe une histoire unique, concevoir la libération
non comme un simple synonyme de développement ou promotion
humaine sinon comme salut conçu selon la perspective de Medellin:
«passage de situations moins humaines à plus humaines
».
Agenor
BRIGHENTI
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier et Guy Boulanger
Québec, 29 janvier 2007
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