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Document préparatoire à la Cinquième Conférence de l’Épiscopat latino-américaine.
Présentation et commentaires analytiques

Agenor BRIGHENTI


 

La V Conférence de l’épiscopat latino-américain et des Caraïbes, convoquée pour les mois d’avril et mai 2007 à Aparécida (Brésil), s’inscrit dans l’ensemble des quatre rencontres antérieures: Rio de Janeiro (1955), Medellin (1968), Puebla (1979) et Santo Domingo (1992). Elle a pour thème: «Disciples et missionnaires de Jésus-Christ, pour qu’en Lui nos peuples aient la vie». «Je suis, le chemin, la vérité et la vie» (Jn 14,6). Comme ce fut le cas lors des rencontres antérieures, elle ne prétend pas être uniquement une réunion d’évêques mais une assemblée de l’Église d’Amérique latine et des Caraïbes, vers laquelle convergent la participation et la collaboration de toutes les Églises locales à travers leurs conférences épiscopales nationales respectives. Le document préparatoire a pour finalité d’animer et d’orienter la participation des communautés ecclésiales dans la préparation de cette cinquième conférence, dont le thème est le disciple et la mission.

La contribution des communautés devra être réalisée à partir de certaines fiches qui devront être complétées avant le mois de novembre 2006. Sur la base de la compilation des contributions qui seront remises par les conférences épiscopales nationales, on élaborera un document synthèse qui servira de point de départ au travail des évêques.

Les réflexions de cette étude s’inscrivent dans ce temps privilégié et important de préparation. Elles cherchent à contribuer à deux objectifs concrets: premièrement, offrir une présentation synthétique du contenu du document préparatoire et une vision d’ensemble des thèmes traités; deuxièmement, elles visent à réaliser un commentaire analytique du document, centrant surtout son attention sur les limites et les oublies pour tenter de l’enrichir.

Les deux objectifs seront traités aux deux points qui suivent.

1. Présentation synthétique du document préparatoire

Pour la présentation du document nous suivront sa structure, suivant les titres du texte et leurs contenus sous forme télégraphique et indiquant le numéro correspondant.

Introduction

Le document préparatoire cherche à susciter la participation la plus large possible en cette étape de préparation, en cette heure de grâce et d’orientation pastorale. 

1. L’aspiration au bonheur, à la vérité, à la fraternité et à la paix (1-20).

A. Une aspiration universelle

1. Nous sommes tous chercheurs et pèlerins du bonheur : au plus profond de notre être il y a la faim de l’amour et de la justice, de la liberté et de la vérité, soif de contemplation, de beauté et de paix, ambition de plénitude humaine, recherches anxieuses d’un foyer et de la fraternité.

2. Ce que nous recherchons surpasse totalement les dimensions et les possibilités de la vie en ce monde, ouvrant le chemin à notre soif de Dieu et à notre vocation pour le ciel.

3. Déjà en ce monde, nous serons toujours plus heureux dans la mesure où nous serons à l’image et à la ressemblance de Dieu – le Père, le Fils et l’Esprit Saint, la communauté des trois personnes heureuses.

4. Dans l’histoire de l’humanité, aujourd’hui encore, il y a des personnes et des peuples qui s’égarent, recherchant leur réalisation par des chemins erronés.

B. À la lumière de la révélation

5. La révélation illumine les aspirations les plus profondes de notre être.

6. Dans l’Ancien Testament, Dieu se manifeste comme Seigneur de l’Histoire, Législateur et Juge.

7. Avec Abraham et les patriarches, Il proclame simultanément l’amour et le respect fraternel, sans idole, sans misère, ni esclavage.

8. Moïse exhorte son peuple à accomplir les dix commandements, ceux-ci seront le chemin qui conduit au bonheur.

10. Par le mystère de l’Incarnation, de la mort et de la Résurrection, Jésus devient notre chemin.

13. Les Béatitudes sont un code du bonheur et elles soutiennent notre espérance dans les tribulations.

14. Pour vivre les Béatitudes, comme apôtres, témoins et collaborateurs, Il nous envoya son Esprit.

15. La suite implique d’embrasser la croix du Christ et que la souffrance est l’offrande filiale au Père.

16. Le christianisme est né et s’est étendu comme une Bonne Nouvelle pour l’humanité.

17. Comme Bonne Nouvelle, naquirent les premières communautés après la Pentecôte.

18. Malgré les terribles persécutions, le christianisme se répandit dans l’Antiquité comme une véritable explosion de joie, comme un courant de foi, de sagesse et d’espérance.

19. Les apôtres reçurent le commandement de Jésus: «Allez et faites des disciples chez tous les peuples», et l’Église alla bien au-delà des frontières de l’Empire romain.

20. La réalisation de ce commandement fut accompagné du martyr, la joyeuse espérance de L’accompagner dans le ciel.

 

II. Depuis l’arrivé de l’Évangile en Amérique latine et dans les Caraïbes, nous vivons notre foi avec gratitude (21-35).

A. Nos peuples reçurent la bénédiction de la rencontre avec le Christ vivant.

21. Par un sage et généreux dessein de la Providence divine, parvint jusqu’aux terres de ce continent ce courant d’amitié avec Dieu, de vie nouvelle et de promotion humaine qu’initia Jésus-Christ par son Incarnation et sa Pâque et que l’Esprit inspira tout au long des siècles avec sa force de Pentecôte.

22. Il arriva à ses peuples dont la vie était déjà accompagnée par la «présence créatrice, providentielle et salvatrice de Dieu». Parmi eux, «les semences du Verbe» étaient présentes dans de nombreuses valeurs qui prédisposaient à une réception plus rapide de l’Évangile.

23. La Vierge de la Guadalupe aida à ouvrir les portes du cœur des peuples autochtones à Jésus-Christ.

24. Notre héritage catholique fut établi et dynamisé par une vaste légion missionnaire d’évêques, de religieux et de laïcs.

25. Toutefois, l’évangélisation connut ses lumières et ses ombres, comme le témoignent Bartolomé de las Casas, Juan de Zumarraga, Vasco de Quiroga, Juan del Valle, Julian Garcés, José de Anchieta, Manuel Nobrega et tant d’autres.

26. L’évangélisation elle-même constitue un tribunal d’accusation envers les responsables de tels abus.

27. Nous nous solidarisons avec la douleur des conquis, soumis à l’esclavage, conformément à la demande de pardon du Pape Jean-Paul II holocauste méconnu.

28. Ce furent également des temps difficiles pour l’Église d’Amérique latine, les grandes crises du XIXe et du début du XXe siècle (Église persécutée). Vatican II rénoverait le dynamisme évangélisateur.

30. Principalement à partir de Medellin, advient une nouvelle étape de notre histoire, où l’Église cherche à contribuer à la construction d’une nouvelle société.

 

B. Una Iglesia viva, fermentada por la experiencia de la gracia de Dios

32. L’héritage reçu, dans le Continent de l’Espérance, engage l’Église à donner une réponse joyeuse et missionnaire à ceux qui cherchent un sens.

33. Les pérégrinations du Pape Jean-Paul II marquèrent des sommets inoubliables de cette histoire.

34. Signes d’espérance qui montrent la semence de Dieu en croissance : 90% de ses habitants croient en Dieu; les joyeuses célébrations liturgiques et la vie des paroisses, de ses communautés de base et des mouvements ecclésiaux; la piété et la religiosité populaire; les paroisses missionnaires; les efforts pastoraux de l’Église dans laquelle participent des religieux et des religieuses orientés vers la Nouvelle Évangélisation, avec un dévouement central envers ceux qui sont blessés par la pauvreté; les grands consignes données par le Pape Jean-Paul II, nous appelant à aller à la rencontre du Christ vivant et à mondialiser la solidarité; la participation des laïcs (ministres de la Parole, catéchistes); les écoles de formation initiale et continue de diacres permanents; la pastorale de la jeunesse; la pastorale vocationnelle, insérée dans la pastorale organique des diocèses en étroite relation avec la pastorale familiale et de la jeunesse; la pastorale de la famille, sanctuaire de vie; la pastorale sociale : l’option préférentielle pour les pauvres et le contenu évangélique et théologique de la libération; l’esprit de communion, de participation et de coresponsabilité manifesté dans les innombrables CEB et dans les ministères laïques, ainsi que la multiplication des conseils pastoraux; l’autofinancement des Églises particulières; le dialogue œcuménique et interreligieux, spécialement avec les communautés juives.

 

III. Disciples et missionnaires de Jésus-Christ (36-93)

36. À Puebla, Jean-Paul II a attiré notre attention sur la vérité de Jésus-Christ, de l’Église et de l’homme.

37. Cette vérité renvoie à l’identité, à la vocation et à la mission chrétiennes, dans la réalité de ce continent sur laquelle, récemment, le CELAM s’efforça d’apporter un meilleur éclairage, à travers une étude sur les «mégatendances» de notre temps et sur la mondialisation .

38. Le thème de la Cinquième conférence se situe dans cette perspective.

 

A. Par la rencontre de Jésus-Christ vivant, ses disciples et ses missionnaires

39. La rencontre avec Jésus-Christ est la raison, la source et le sommet de la vie de l’Église ainsi que le fondement du disciple et de la mission.

40. Jésus-Christ est et sera toujours la «véritable nouveauté qui surpasse toutes les attentes de l’humanité».

42. La rencontre avec le Seigneur nous introduit dans les dimensions les plus profondes de la Vie.

43. La V Conférence nous offre une nouvelle opportunité pour réfléchir sur la profondeur de notre rencontre avec Jésus-Christ vivant et sur l’intensité de notre ardeur missionnaire.

 

A. Disciples de Jésus-Christ

44. Même si nous maintenons les grands objectifs des conférences générales précédentes en ce qui a trait à la Nouvelle Évangélisation, nous croyons nécessaire d’aller de l’avant pour parvenir au sujet qui répondra aux grands défis de notre temps.

45. Le disciple de Jésus-Christ est quelqu’un qui a reçu le Seigneur rempli de stupeur.

46. La première expérience du disciple consiste en l’appel personnel que lui fait Jésus et dans la volonté de le suivre qui naît en lui et qui le pousse à donner une réponse confiante et amoureuse, qui l’amène à se configurer à Lui. Cette réponse le lie immédiatement à une communauté de fidèles, où il discerne bientôt quelle est sa mission dans l’Église et la société.

49. L’élection et l’appel du Christ demande à être entendus des disciples.

50. Il s’agit d’une réponse d’amour à un appel d’amour.

51. Le disciple entre en communion de vie et de mission avec Jésus-Christ.

52. Pour que cette communion avec Lui soit toujours plus complète, Jésus-Christ s’est livré à ses disciples comme Pain de vie éternelle et Il les invita dans l’Eucharistie à participer à sa Pâque.

55. La formation du disciple de Jésus-Christ doit avoir comme but de s’identifier à Lui, être disciples de la Parole qui existait au commencement.

58. Dans la vie sacramentelle, le disciple de Jésus-Christ rencontre la présence et l’action salvatrice de Jésus.

59. Un itinéraire de formation chrétienne qui comporte plusieurs étapes essentielles: l’annonce de la parole, l’accueil de l’Évangile qui mène à la conversion, la profession de foi, le baptême, l’effusion de l’Esprit Saint et l’accès à la communion eucharistique.

64. Marie de Nazareth, première disciple parfaite qui depuis l’Incarnation grava dans son cœur l’Évangile.

65. En Marie nous rencontrons toutes les caractéristiques du disciple : l’écoute amoureuse et attentive, l’obéissance sans limite à la volonté du Père, la fidélité jusqu’à accompagner son Fils au pied de la croix.

C. Disciples en communion ecclésiale

66. L’appel et l’amour de Jésus-Christ pour ses disciples, crée en eux la communion fraternelle, une communauté unie en Jésus-Christ.

69. Une communauté unie est la condition nécessaire à la formation du disciple: maison et école de communion et de solidarité.

70. Le disciple ne peut vivre sans le Dimanche, sans la rencontre avec le Christ, vivant dans sa Parole et son Eucharistie.

71. La vie de communion des disciples démontre son unité à travers la diversité et la pluralité des nations, langues, races et coutumes: nous rappelant qu’elle est à l’image du Dieu unique et Trinitaire.

72. La tâche de construire la communion ecclésial pour que l’Église croisse comme «maison et école de communion», se réalise de manière organique au moyen de divers ministères, charismes et services et avec la collaboration de tous.

73. Un rôle particulier correspond aux différentes formes de mouvements et autres associations ecclésiales qui expriment dans toute leur diversité les dimensions multiples de la vie chrétienne. La vie paroissiale et la diocésaine doivent exprimer, dans les faits, leur caractère de «communauté de communautés et mouvements».

74. L’identité et la mission du prêtre se fondent dans la rencontre avec Jésus-Christ vivant et dans sa suite comme disciple, elles se déroulent dans le vécu de la communion presbytérale avec l’évêque et se projette dans la charité pastorale.

75. Sur le chemin du disciple, la vie consacrée occupe une place irremplaçable. Il s’agit d’une «manière particulière de suivre le Christ, pour se consacrer entièrement à Lui avec un seul cœur», «être avec Lui et se mettre, comme Lui, au service de Dieu et des hommes».

76. Pour mener à terme cette tâche, il est nécessaire de recourir à des projets de formation exigeants et différenciés pour tous: évêques, prêtres, diacres permanents, consacrés et laïcs.

 

D. Disciples pour la mission

78. «Il m’a choisi pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres…» «Comme le Père m’a envoyé, je vous envoie».

79. À un autre moment, Jésus exprime définitivement le caractère missionnaire de chaque disciple: «Allez et faites des disciples dans toutes les nations».

80. Pour qu’il grandisse avec Jésus dans le baptême et soit fait membre de l’Église, naît chez le disciple le sentiment d’appartenance par lequel il assume l’édification et la mission de l’Église.

82. L’expérience de proximité et de conversion que vit le disciple le prépare à rendre témoignage devant ceux qui ont été baptisés et le pousse à sortir à la rencontre de ceux qui ont soif de Dieu et ne connaissent pas son visage.

83. La rencontre avec Jésus et être son missionnaire, préparent le disciple à s’approcher des différents groupes culturels: indigènes, afro-américains et immigrants, en recherchant une meilleure inculturation de la liturgie.

84. Pour cela, il est nécessaire de se faire pauvre en esprit, pour pérégriner par les chemins des Béatitudes, dans la perspective de la kénose du Christ.

85. Les disciples furent appelés à demeurer dans l’amour du Christ, et de manière particulière dans son amour miséricordieux et préférentiel pour les pauvres. Le disciple se trouve ainsi pressé de vivre l’authentique solidarité.

86. Les bâtisseurs de la société méritent une attention particulière, appelés à défaire les structures marquées par le péché et à travailler pour un nouvel ordre social, plus juste, équitable et incluant.

87. Autres urgences: la défense de la vie, depuis la conception, de la famille, de la participation politique, la défense du droit au travail, la distribution équitable des biens.

88. Les disciples de Jésus-Christ sont appelés à vivre et à proposer un autre chemin : celui de la dignité humaine et de la liberté, de la participation, de la solidarité et de l’ascèse.

89. Il existe aujourd’hui dans notre culture une résistance très forte à regarder en face le mystère de la croix dans la vie personnelle et étrangère. Le disciple est appelé à proposer, par le témoignage de sa propre vie, la valeur de prendre la croix et de suivre le Maître.

90. La fidélité des frères et des sœurs d’Amérique latine et des Caraïbes qui a fait du XXe siècle un siècle de martyrs, nous remplit le cœur de gratitude.

91. Un autre domaine prioritaire pour les disciples de Jésus, c’est la recherche d’unité entre tous ceux qui croient en Jésus-Christ (travail œcuménique).

92. Dans l’Église qui chemine en Amérique latine et dans les Caraïbes, chacun est appelé à être missionnaire par sa prière et ses initiatives, pour faire en sorte que l’Église envoie de nombreux missionnaires «ad gentes» pour porter la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ à d’autres peuples et continents.

 

IV. Le début du troisième millénaire (94-158)

A. Nous vivons au milieu des douleurs de l’enfantement d’une époque nouvelle.

94. De fait, l’Amérique latine et les Caraïbes sont mis au défi par les changements religieux, éthiques et culturels qui indiquent les douleurs de l’enfantement d’une époque nouvelle.

95. Autour de nous, il y a des signes du crépuscule d’une ère de l’humanité qui se termine et de l’aurore d’une époque nouvelle.

96. Des phénomènes nouveaux nous invitent à faire un discernement.

97. Comme premier donné de ce changement d’époque, nous observons que l’être humain a atteint le macrocosme (conquête spatiale) et le microcosme (recherche génétique).

98. Également, la relation avec la nature a été transformée: nous prenons conscience de l’interrelation et de l’interdépendance des êtres entre eux, une réalité que l’être humain doit accepter et respecter.

99. Si on désire faire la promotion d’une authentique «écologie humaine»; il est nécessaire de prendre conscience que cela est essentiel à la famille, elle qui souffre les assauts les plus forts de l’histoire.

100. La mariage est violenté par la séparation entre l’amour, la sexualité et la procréation.

101. Ainsi, se transforme le sentir en ce qui concerne l’identité et la mission de la femme: depuis la maternité, des espaces s’ouvrent vers le monde social sans tomber dans une simple compétition avec l’homme.

102. Les changements nous ont fait passer de l’ère industrielle à la société de la connaissance et de l’information.

103. Les progrès de l’information et de la technique qui ont accéléré les processus de production, ne sont pas toujours au service de l’être humain, c’est pourquoi s’accroissent les inégalités entre ceux qui possèdent le capital et la connaissance et les plus pauvres. Grandit le nombre des exclus.

104. Ceux-ci et de nombreux autres changements affectent directement ou indirectement la recherche de la vérité et avec cela, les comportements éthiques. On tend à penser que le vrai et bon sont ce que l’individu établit, ou ce qui lui est agréable et lui procure du plaisir et favorise la consommation, tombant dans une éthique individualiste fondée sur «sa propre vérité».

105. Il existe une tendance à émanciper la liberté de la vérité et du bien.

107. Advient une conscience contraire à toute discrimination; fréquemment étrangère à la vérité et au bien.

108. Le processus de changement actuel provoque un profond déracinement, produisant une grande insécurité, de la confusion et même de l’angoisse.

109. Dans le domaine religieux, il existe de nouvelles tendances, comme celles qui ne contemplent que l’aspect émotionnel de la croyance religieuse et de nouveaux fondamentalismes.

110. Face à cela, il semble que la proposition chrétienne doit s’arrêter devant le fait le plus décisif de l’histoire. Apparaît la pertinence unique de la révélation de Dieu en Jésus-Christ, «centre du cosmos et de l’histoire».

111. Le message d’espérance, c’est Jésus-Christ qui vainc par la croix.

 

B. La mondialisation, un défi pour l’Église

112. En ce changement d’époque, nous constatons que la mondialisation est un phénomène réel et complexe .

113. Ses caractéristiques les plus significatives sont: la communication mondiale, l’enrichissement du savoir, les percées technologiques, la rapidité avec laquelle se produise les changements, la création de nouveaux paradigmes.

114. La mondialisation contient des aspects négatifs, mais elle sera ce que nous en ferons.

115. Mais la mondialisation, telle que nous l’expérimentons actuellement, en plus de produire des effets intégrateurs, s’accompagne de tensions à cause des asymétries propres à ce processus.

117. De manière simultanée, dans le processus en cours avec la mondialisation, nous pouvons constater un autre processus, celui de la base, de la défense de l’identité culturelle, de la nature et des organisations et des groupes de défense des droits humains oubliés, ou de production, de consommation, d’échange, de financement, etc.

118. La globalisation économique génère des richesses et en même temps, de manière plus ou moins systématiques, de la pauvreté et de l’exclusion.

119. La destruction progressive et inquiétante de l’environnement, dans un continent qui continue d’être une des régions les plus inéquitables du monde ; la brèche entre les riches et les pauvres s’élargit au lieu de diminuer et se maintient une grave injustice sociale qui blesse le possible développement humain de millions d’habitants.

120. La globalisation des moyens de communication sociale a transféré une part importante du pouvoir aux propriétaires et aux communicateurs lesquels se transforment en facteurs significatifs du modelage des mentalités et des cultures, en influents opérateurs des changements de valeurs.

121. Il se produit une altération de l’identité culturelle de presque tous les peuples : on fait la promotion du culte de la personne, de l’argent et du plaisir.

123. La mobilité humaine, interne comme internationale, s’accroît.

 

C. Les espoirs et les peines de nos peuples nous interpellent.

125. Le phénomène de la mondialisation et l’avancé des communications ont permis une plus grande ouverture sur le monde, produisant dans le sens des peuples une rupture en ascension en ce qui a trait au patrimoine culturel, aux valeurs traditionnelles et à son style de vie.

126. Dans nos pays, continue la scandaleuse persistance de la pauvreté, de la misère et du chômage, dans un continent formé majoritairement de chrétiens, où demeurent présents chez les pauvres les grandes vertus comme la solidarité.

127. Dans la conscience de plusieurs pays, s’est fait plus forte l’appel à une juste participation des peuples indigènes aux bénéfices et à la conduite de la société, ce qui implique le respect de leur culture et de leurs formes ancestrales d’organisation.

128. Les nouvelles réformes dans l’éducation démontrent un réductionnisme anthropologique puisqu’il conçoit l’éducation en fonction de la production, de la compétitivité et du marché.

129. L’État rencontre des difficultés à réaliser son engagement envers le bien commun, pressé par les systèmes financiers et par les corporations transnationales.

130. On constate la prédominance de la démocratie formelle, avec une présence insuffisante de la démocratie comprise comme culture de participation, de solidarité et de subsidiarité.

131. Les gens sont lassés de la faiblesse de leurs gouvernants. On constate une tendance croissante à applaudir l’avènement de leaders messianiques ou caudillos d’apparence populiste.

132. Dans le dessein des politiques d’État, ne prévaut pas la conception chrétienne de l’autorité, accompagnée d’une vie sobre qui veille au bien commun.

133. Apparaissent palpables, une certaine crise des institutions politiques et l’émergence d’une société civile organisée de manières différentes, ainsi que la décadence et l’atomisation des partis politiques, sans identité ni programme.

134. Ce phénomène est associé à la perte de crédibilité des serviteurs publics, qui engendre l’ingouvernabilité et des scandales de corruption.

135. La corruption publique et privée se sont accrues de manière alarmante, favorisant l’impunité et l’enrichissement illicite, freinant le crédit et l’investissement honnête.

136. Il existe une éducation déficiente pour le travail honnête et l’exercice de la coresponsabilité et des responsabilités civiques de base.

137. Dans certains pays, une grave détérioration est la conséquence de la production de drogue et du narco-trafique, alimentés par la demande des pays développés, fruit de la tolérance et de la légalisation de la consommation.

138. Divers groupes de guérilla se nourrissent du narco-trafique, de l’enlèvement et de trafics illicites dont la contrepartie est le terrorisme d’État.

139. La faible consolidation des processus démocratiques retardent l’intégration de l’Amérique latine et des Caraïbes.

 

D. Les catholiques et l’Église ont aussi d’autres défis.

141. Malgré qu’il se trouve menacé par la société mondialisée, le substrat catholique de notre culture demeure toujours présent.

142. Cette sève catholique s’est exprimée par une riche religiosité et piété populaires, avec une profonde confiance dans la Providence, dans l’Esprit Saint, dans le Christ crucifié, dans Marie, dans les saints et dans le Pape.

143. Cette sève est également présente dans le profond sens de la famille, de l’hospitalité, de la solidarité dans les malheurs, le sens de la justice, de même que dans le respect de la vie.

144. Il se produit une nouvelle valorisation de la religion comme un bien social important.

145. Cependant, dans les dernières décennies, on observe également une diminution de la foi et un affaiblissement de l’engagement de nombreux croyants envers l’Église et leur propre foi; apparaît une mentalité qui dans la pratique se passe de Dieu, marquée par le relativisme, le pragmatisme et l’hédonisme.

146. Émerge avec une force rénovée un laïcisme militant qui nie aux croyants la possibilité de manifester publiquement selon leurs convictions et d’agir en accords avec celles-ci.

147. Dans cette ambiance relativiste et laïciste se répand une agressivité nouvelle, ouverte ou larvée, contre l’Église, surtout dans la libération des coutumes et des lois.

148. L’échec de la culture moderne et celui d’une pastorale qui soutient et alimente l’identité catholique, ont donné lieu à un marché mouvant d’alternatives religieuses et à un prosélytisme contre l’Église catholique.

150. Comme présence de l’Église, il nous en coûte d’être prophète et d’annoncer Jésus et l’Évangile de manière proactive, il nous en coûte de reconnaître ensemble les véritables menaces, celles qui contredisent les codes de la félicité que Dieu nous a livrés.

151. L’Église se rend présente dans la société par ses moyens habituels d’évangélisation : paroisses, CEB, mouvements ecclésiaux, instituts de vie consacrée, écoles, universités.

152. Dans le champ social, se remarque la promotion et la défense des droits humains, individuels et sociaux ou politiques, l’accompagnement des peuples indigènes, la formation de citoyens pour la construction d’une démocratie et le service permanent de l’action sociale dans des domaines comme l’éducation, la santé, le logement, et les services carcéraux, etc.

153. L’Église voit avec une grande préoccupation la violation des droits fondamentaux des migrants, des réfugiés et des déplacés.

154. Cependant, nous avons négligé la formation des laïcs pour ordonner les réalités temporelles, ils présentent des positions éthiques faibles et ne parviennent pas à remplir leur responsabilité dans le monde avec une cohérence chrétienne, ni ne se s’orientent selon la Doctrine sociale de l’Église.

155. Dans les derniers dix ans, il y a une diminution du nombre de catholiques, dans certains pays jusqu’à 10%.

156. Parmi les laïcs, diminue la réception des sacrements, principalement la célébration du mariage. On assiste aussi à une désacralisation du dimanche et il y a urgence d’entreprendre une formation catéchétique plus large et plus profonde.

157. L’exode des catholiques vers les communautés pentecôtistes, démontre la recherche d’une expérience communautaire plus étroite pour éviter la solitude et l’isolement. La recherche d’expressions religieuses plus émotives et l’opportunité d’une plus grande participation au sein de communautés plus petites.

158. Pour ces personnes qui abandonnent l’Église, il est nécessaire de trouver de nouvelles formes et expressions de la présence et de la participation dans la communauté. 

 

V. Pour que nos peuples aient la Vie en Lui (159-174).

160. Au milieu des promesses de Dieu, l’élection, qu’il fait de nous, nous saisit et l’envoi que nous faisons nôtre avec une force grandissante à devenir lumière du monde et sel de la terre, des instruments de sa justice, de sa miséricorde et de sa paix. Nous sommes appelés à prendre résolument dans nos mains la mission qu’Il nous a confiée, pour que «nos peuples aient la Vie en Lui».

162. L’Église sait que sa mission prolonge dans l’histoire la mission du Christ, incorporant à la vie, à la passion et à la résurrection du Christ, le Seigneur de la vie.

163. La vie nouvelle dans le Christ nous incorpore à la communauté des disciples et des missionnaires du Christ et de l’Église.

167. Nous voulons surmonter les misères et les manques des habitants de notre continent, avec un dévouement préférentiel envers les plus tourmentés, et contribuer à la formation de personnes capables de gouverner et de motiver dans l’engagement effectif envers le bien commun.

168. Il apparaît urgent de promouvoir une culture de la vie : par le respect à la vie, la création de familles qui soient des sanctuaires de la vie.

169. Le document est ouvert à recevoir plusieurs propositions de tous les pays, contributions qui doivent être envoyées par les conférences épiscopales.

173. La V Conférence veut susciter une Grande Mission Continentale.

174. Les lectures des Actes des Apôtres nous présentent l’expérience de différents styles de mission, lesquelles sont des modèles qui nous servent aussi dans le troisième millénaire.

 

2. Commentaire analytique du document de participation

Une fois revu le document au moyen d’une présentation télégraphique et synthétique, évidemment sans pour autant dispenser de sa lecture, nous proposerons quelques commentaires analytiques dans le but d’aider à son étude.

À partir d’une vision d’ensemble des contenus, nous verrons quelle est la proposition de fond du document et son approche, c’est-à-dire, quelle est sa vision du monde, de l’être humain, de l’Église, en bref, quelle théologie sous-tend ce document. Faisant cela, nous ne prétendons pas chercher à influencer les décisions des communautés ecclésiales dans leur processus de participation à la préparation de la V conférence, sinon simplement les aider à réfléchir sur ses contenus et les habiliter à l’enrichissement du document. Le CELAM lui-même spécifie, dans l’introduction du texte, que le document préparatoire «n’est pas le résumé du document final», à peine se présente-t-il comme «une proposition incomplète», en attente de la contribution de tous.

Dans cet abordage, analytique mais aussi synthétique, du document, nous proposerons trois classes de commentaires: une, sur l’ordre des contenus et l’approche méthodologique; une autre sur les contenus des cinq chapitres du texte; et une troisième sur la relation du document avec la tradition latino-américaine et caraïbe, qui, nous le savons, se reconnaît historiquement comme une «réception créatrice» du Concile de Vatican II.

 

2.1 L’ordre des contenus et l’approche méthodologique

La question méthodologique n’est certes pas un problème secondaire. La méthode, en tant que «chemin» (odos), n’est pas qu’un simple instrument en marge du produit final du travail sur un objet particulier. Il n’existe pas de méthode indépendante et neutre du contenu véhiculé à travers elle. En d’autres mots, la méthode est aussi message, tout autant que contenu. En tant que chemin, elle est porteuse d’une intentionnalité et, théologiquement parlant, nous dirions qu’elle est révélatrice d’une cosmovision qui a une incidence directe sur les contenus, et surtout, sur le type d’action qu’elle vise.

 

2.1.1 La logique du contenu du document

Le document préparatoire présente et ordonne son contenu en cinq chapitres qui configurent un tout à partir de certaines options théologiques préalables, au sujet du monde, de l’être humain, de l’Église et de la conception de Dieu, spécialement de la christologie. Voyons-le en détail :

L’être humain aspire au bonheur.

L’Église en Amérique latine et aux Caraïbes est le fruit de l’accueil de Jésus-Christ comme réponse à cette aspiration.

La rencontre avec J.C. mène à devenir disciple et missionnaire.

La mission, aujourd’hui, se développe dans un monde en transformation (en douleurs d’enfantement).

Pour que «en Lui, nos peuples aient la vie», l’Église propose une «Grande Mission Continentale».

La logique du document semble être la suivante : tout d’abord, et aujourd’hui plus que jamais, tenant compte de l’anémie spirituelle de notre temps, nous retrouvons un grand désir de sens, de ce dont «l’irruption du religieux» est une confirmation incontestable. Le sens est étroitement lié à la question du bonheur. Ce qui, au sein de la modernité, dans une grande mesure, s’exprime dans la surconsommation, le prestige et l’hédonisme. (Chapitre I).

Dans le second chapitre, l’Église en A.L. et C. possède la réponse à cette recherche de bonheur. Reçue il y a cinq siècles, même si ce fut au milieu de contradictions, la réponse se nomme Jésus-Christ et son Évangile. Le « substrat catholique» de notre culture donne l’assurance de cette rencontre avec Jésus-Christ, favorisée par tant de missionnaires héroïques. (chap.II)

Dans le troisième chapitre, nous voyons qu’aujourd’hui, tout autant qu’hier, il est nécessaire de prendre conscience du fait que la rencontre avec Jésus-Christ nous amène à devenir disciples et missionnaires. Ce qui veut dire que depuis l’expérience personnelle et communautaire avec le Christ vivant, la rencontre nous convertit en missionnaire préoccupé de faire vivre, chez tous, la même expérience capable de leur apporter le bonheur (chap. III). Dans notre continent, cette mission s’est développée dans un monde marqué par de profondes transformations : d’un côté, par la globalisation discriminatoire qui engendre des exclus; et, de l’autre, par le pluralisme qui entraîne le relativisme, principalement dans l’ordre des valeurs morales (chap. (IV).

Pour une bonne part, ces transformations contredisent l’idéal évangélique et éloignent les fidèles de l’Église. Voilà pourquoi il est urgent de convoquer tous les catholiques à une «Grande Mission Continentale », afin que tous nos peuples aient la vie en Jésus Christ (chap. V).

Comme on peut le constater, la logique argumentative est la suivante: on part de la soif de sens; on va à Jésus-Christ qui est la réponse dont l’Église est la dépositaire; de l’expérience de JC dans l’Église nait le disciple et la mission; mission à réaliser dans un monde grandement hostile à l’Église au moyen d’une Grande Mission Continentale. C’est un processus déductif dans la mesure où la réalité apparaît seulement au quatrième chapitre et apparaît comme point d’arrivée de la mission et non pas comme point de départ. Il semblerait ainsi que le point de départ est l’être humain assoiffé de bonheur que nous retrouvons dans le chapitre premier. Cependant, tant que cet être humain ne présente pas son visage concret, alors il ne peut être reconnu que comme catégorie universelle, et le véritable point de départ est la «recherche du bonheur». Mais le bonheur n’est-il pas une réalité concrète ? Oui, si les désirs possédaient une référence concrète. Cependant, ils sont aussi conçus de manière générique, caractérisés comme faim d’amour et de justice, de liberté et de vérité, comme soif de contemplation, de beauté et de paix, ambition de plénitude humaine, aspiration à un foyer et à la fraternité. De là, Jésus Christ est vu comme une réponse à ce désir, et l’Église elle-même dans son être et sa mission.

Et où est l’Église? Elle apparaît au second chapitre, et par conséquent avant la réalité sociale présentée au quatrième. Ceci nous amène donc à voir, d’une part, le monde depuis l’Église, en le privant de son autonomie et de sa spécificité propres, objet des sciences sociales; et d’autre part, situe l’Église hors du monde, ou pour mieux dire, au-dessus de lui et non pas dans le monde en faisant partie de lui, comme le fait Vatican II (GS 40).

Jésus-Christ, en tant que réponse, se retrouve avant la question sur la réalité, exposée au chapitre quatre. Et le fait est que, indépendamment de la réalité, la réponse du disciple consiste à être missionnaire, c’est-à-dire, à sortir de l’Église pour attirer les personnes au dedans puisque le Christ est la réponse. Sauf que, comme nous le verrons, il s’agit à son tour d’un Christ sans Jésus dans la mesure où sa réponse consiste en une «plénitude de vie» métahistorique, le bonheur des personnes de la Trinité (n.3).

 

2.1.2 L’approche méthodologique et son incidence sur la compréhension des contenus

Cette posture méthodologique, évidemment, possède une incidence sur les contenus. Medellin, dans la perspective de Vatican II, avait affirmé que tout engagement pastoral surgit d’un discernement de la réalité (15,36). D’après Gaudium et Spes, l’identification des «desseins de Dieu » sur la réalité et les engagements pastoraux subséquents, surgissent d’une lecture des signes des temps. (GS 11). En d’autres mots, dans la perspective de la rationalité moderne et du Concile, c’est la réalité qui fournit la matière première à la réflexion théologique et pastorale. Surtout pour la théologie latino-américaine et caraïbe, la réalité n’est plus le lieu d’atterrissage de l’orthodoxie, mais source créatrice d’idées puisque l’histoire, en tant que lieu de la révélation divine, est un véritable lieu théologique. L’action ecclésiale ou la mission sont des réponses qui, pour être efficaces, dépendent de l’identification préalable des questions.

La méthode déductive qui traverse tout le document transmet une vision essentialiste de la vérité, sur laquelle l’histoire n’a aucune incidence. Il s’agit d’une vérité qui ne passe pas par la vérification, c’est-à-dire, par sa confirmation historique. Comme l’Église la possède déjà, la révélation est davantage un «dépôt» à préserver et à communiquer, qu’un mystère qui demande à être continuellement approfondi. Il est nécessaire de ne pas perdre de vue que l’Église n’est pas celle qui possède la vérité, c’est la Vérité qui la possède et la dépasse infiniment. Sinon, la mission consisterait fondamentalement à annoncer un kérygme déjà compris, auquel servirait davantage le catéchisme plutôt que la Bible, puisque celle-ci, hors de l’instance du magistère, se trouve à la merci des subjectivités et de ses multiples vérités. Dans cette perspective missionnaire, il y a un mouvement ad extra, mais en vue d’un ad intra, un mouvement centripète, propre à la mentalité de chrétienté, au lieu d’être centrifuge qui dépasse tout ecclésiocentrisme.

En suivant un chemin inductif, et cela, même à l’intérieur de la théologie, Vatican II a souligné la mise entre parenthèse du processus déductif. Ainsi, conformément à la méthode de la rationalité moderne, l’ordre des chapitres devrait être: partir de la réalité sociale et, de là, explorer la réalité anthropologique et de l’Église; puis aller à la révélation chargée des questionnements de la réalité de sorte que la Parole de Dieu «soit salut pour nous aujourd’hui» comme l’affirme le document Dei Verbum ; ensuite, se retrouver avec Jésus de Nazareth, plénitude de la Révélation et prémices du Royaume de Dieu, en tant que Christ Ressuscité; et, pour finir, se mettre en attitude de service et de dialogue avec toutes les personnes de bonne volonté, moyennant une action évangélisatrice qui puisse contribuer à l’édification du Royaume de Dieu, qui, en sa dimension historique, puisse se représenter en une société nouvelle en Amérique latine et aux Caraïbes.

 

2.2. Le contenu des cinq chapitres du document

À grands traits rapides, nous jetterons un regard analytique sur les contenus de chacun des cinq chapitres. Notre objectif cherche à attirer l’attention sur leurs limites, silences et vides et notre intention est de le mettre en évidence dans notre analyse.

2.2.1. Chapitre I : L’anthropologie et la christologie

A. L’anthropologie

Le changement anthropologique opéré par la modernité au Concile de Vatican II a signifié surtout un dialogue avec l’être humain athée, avec le «non-croyant». À Medellin on a mis en évidence ce que Vatican II avait laissé en suspens: «une Église des pauvres pour être l’Église de tous» (Jean XXIII). Le document préparatoire propose, comme point de départ, «l’homme en perte de sens» ou dit de façon plus concrète, en recherche de bonheur (n.1). Le bonheur est réellement une question importante pour l’être humain actuel. Sauf que la compréhension du bonheur est bien différente pour un riche ou pour un pauvre, par exemple. On a l’impression que l’humain du document est un sujet riche, fatigué et vidé, absorbé par la technologie et la consommation, en crise de sens, en crise existentielle (n.2). Pour les pauvres, en retour, la crise en est une de survie ou de survivance et non pas de simple existence.

Puebla avait vu l’être humain latino-américain et caraïbe avec des visages très concrets, en particulier des visages de pauvres (DP 31-39). Le document préparatoire parle d’un humain sans visage, comme s’il était une catégorie, une essence, au-delà de la contingence d’une histoire dans le quotidien de la vie. Tant que l’être humain du document ne présente pas le visage concret de l’indigène, du noir, de la femme, du travailleur, du chômeur, du sans-terre ni toit, de l’enfant, etc., et leur désir de bonheur, tant qu’il n’est pas saisi dans ses préoccupations palpables comme le pain, le toit, l’éducation, le travail, la santé, l’accueil, etc., il demeure davantage au niveau de l’essence que de l’existence. Pour les pauvres, l’expérience religieuse elle-même en tant que salut passe par la plénitude de la vie, de la vie matérielle inclusivement. Sinon, on le verra adhérer à des mouvements religieux autonomes, spécialement au néo-pentecôtisme où le salut se confond avec prospérité matérielle, santé physique et psychoaffective.

Nous ne devons pas perdre de vue que le tournant anthropologique opéré par la modernité, est un effort important dans le dépassement du théocentrisme de la chrétienté. On l’a vu quand Heidegger, en se basant sur Hegel, le découvreur de l’histoire, a caractérisé l’être comme temps. Jusqu’alors l’anthropologie se confondait avec la métaphysique, essentialiste, a-historique.

 

B. La christologie

Le Christ du document c’est le Ressuscité, le Roi, le Vivant, le Chemin, la Vérité et la Vie. Cependant, le Sauveur du peuple exclu c’est le Souffrant, non pas Jésus, le Mort du Vendredi Saint. Ce n’est pas non plus qu’on doute du Ressuscité, ou bien qu’il ne soit pas Vivant, mais si Jésus est solidaire de la souffrance de son peuple, Lui aussi doit être souffrant. Impossible que tout ne soit que gloire pour un Dieu dont les fils sont écrasés par l’oppression et l’injustice. Le danger le plus grand dans la christologie n’est pas tant un Jésus sans Christ, sinon un Christ sans Jésus.

Voilà où se situe le déficit christologique du document. Il s’agit de chercher à situer l’oeuvre salvatrice de Jésus dans l’aujourd’hui de la réalité latino-américaine et des Caraïbes; de mettre en relation son message avec les contradictions dans lesquelles nous vivons dans notre contexte et pas simplement affirmer l’action rédemptrice en elle-même. Si on suit le dynamisme du mystère de l’Incarnation, on ne peut pas s’empêcher de mettre en relation le Christ avec Jésus qui prolonge sa passion dans l’histoire, «étampée» dans le front de tant d’êtres défigurés. La perspective de Mathieu 25,31-46 aide à accueillir, vivre et servir Jésus-Christ, non pas comme une réalité purement transhistorique, sinon dans le quotidien de la vie. L’Évangile contextualisé dans notre réalité est une Bonne Nouvelle d’un Jésus prophète en faveur de la justice et de la fraternité, qui a vécu la solidarité avec les victimes jusqu’à la fin et dont la conséquence fut la mort en croix. La croix n’est pas un moyen, elle est la conséquence du don de la vie pour tous, car la souffrance ne peut jamais se justifier par elle-même. Affirmer que le Christ «apaise la soif de sens et de bonheur» (n. 5) c’est dire peu et faire très distant.

 

2.2.2 Chapitre II : l’ecclésiologie

Avec Justin de Rome, le document reconnaît la présence de «semences du Verbe» dans la vie des aborigènes précolombiens et avec Eusèbe de Césarée, l’étape précoloniale comme préparation évangélique (n.22). Également, il reconnaît et réitère la demande de pardon faite par Jean Paul II pour les ombres survenues durant le processus de l’évangélisation (n.27). Nonobstant, rendre compte des ombres à travers la dénonciation des saints missionnaires en affirmant que «l’évangélisation elle-même constitue une sorte de tribunal d’accusation envers les responsables de tels abus» (n. 26), ne manque pas de receler des relents d’une ecclésiologie préconciliaire.

En premier lieu, l’ecclésiologie conciliaire se fonde sur la pneumatologie et non pas sur la christologie. Il est évident que l’Église fut voulue et fondée par Jésus. Mais elle trouve réellement son existence seulement lorsque les apôtres, alors inactifs, devinrent actifs sous l’action de l’Esprit, au jour de la Pentecôte. L’Église n’est pas extérieure ni antérieure à l’action de l’Esprit. La Tradition est l’histoire de l’Esprit Saint dans l’histoire de l’Église.

En deuxième lieu, l’ecclésiologie du document se ressent d’une christologie docétiste, selon laquelle l’Église est conçue comme extension et histoire du Christ glorieux. Dans cette perspective, Bellarmin concevait l’Église, en tant que Corps du Christ, comme «Incarnation continuée». Il s’agit dès lors, du Christ glorieux, sans Jésus, et d’une Église divine, qui ne pèche pas, et si elle pèche, ses péchés ne sont autres que des fautes des «fils de l’Église», jamais de l’Église comme telle, qui est essentiellement sainte, parce que divine. Par contre, l’ecclésiologie de Vatican II assume la dimension contingente de l’Église dans la précarité du présent – ecclesiam semper reformanda (UR 5; GS 40)- ou au dire des Saints Pères: casta meretrix (LG8; GS 21.43).

Somme toute, le déficit ecclésiologique du document se manifeste dans l’éclipse du Royaume de Dieu. Celui-ci apparaît une seule fois dans le texte, mais en relation avec l’Église et certes avec Jésus en citant la préface de la solennité de la fête du Christ Roi (n.6). L’Église se relie directement au Christ et prolonge sa mission, comme si Jésus s’était prêché lui-même. Une Église sans le Royaume de Dieu est une Église hors et au-dessus du monde, centrée sur elle-même, propriétaire de tous les moyens du salut. Après le Concile Vatican II, cependant, on ne peut plus comprendre l’Église hors du trinôme Église-Royaume-Monde, parce que ce sont trois réalités qui s’interpénètrent (LG5; GS 40). L’Église existe pour être signe et instrument du Royaume de Dieu dans le Monde.

De même, on ne peut pas passer sous silence le fait que le document, tout en faisant une rétrospective historique du cheminement de l’Église pour identifier les signes d’espérance présents en elle aujourd'hui (n. 34), présente un vaste spectre de réalités ecclésiales, mais avec des silences qui requièrent d’être brisés. Par exemple : Il n’est pas fait mention des quatre conférences générales antérieures de l’Épiscopat latino-américain et des Caraïbes avec son riche magistère, une tradition qui ne peut se perdre ; non plus, nulle part on ne mentionne explicitement les martyrs des causes sociales, dans la lutte pour la justice, qui furent des milliers et qui sont ce que l’Église a de plus précieux en Amérique latine et aux Caraïbes ; dans le champ de la pastorale sociale, il n’est guère fait mention du travail dans le domaine de l’écologie, des travailleurs, des paysans, des enfants, des personnes âgées, des femmes marginalisées, des malades, etc.; les CEB sont citées comme une structure de participation, dépourvue de son esprit et de sa nouveauté ecclésiologique, à peine comme moyen pour obtenir de petites communautés.

La riche contribution de la réflexion biblico-théologique est à peine citée au passage en évoquant le «contenu évangélique et théologique de la libération». Maintenant, en plus de nos martyrs, nous avons également une théologie martyre qui, malgré la reconnaissance de ses limites, confère à notre continent une tradition propre à l’intérieur de la Tradition de l’Église comme un tout, dans la mesure où une thèse comme l’option pour les pauvres, péché social, foi et praxis, histoire unique, libération comme salut, etc., enrichissent toute et n’importe quelle théologie.

 

2.2.3 Chapitre III : La missiologie

Dans le document, tout converge vers la mission – «une grande mission continentale» (n.173)-, ce qui est très justifiable et nécessaire dans un monde toujours plus marqué par l’exclusion et le sécularisme. Et l’on veut parvenir à l’individu en faisant un pas de plus par rapport aux conférences antérieures (n.44). Nonobstant, on préfère parler de «mission» au lieu «d’évangélisation», et quand on mentionne celle-ci, elle apparaît comme «nouvelle évangélisation», en grande mesure comprise comme «proclamation du kérygme», sans prendre suffisamment en compte sa réception et ses implications historiques. Le terme «mission», dans une cosmovision traditionnelle, s’insère dans le contexte de la mentalité ecclésiocentrique de la chrétienté, d’un salut dans la sphère strictement religieuse et interne à l’Église. Dans la perspective d’ Evangelii Nuntiandi, en reliant le terme «évangélisation» avec la promotion humaine (EN31), on surpasse le caractère de chrétienté en accueillant la catégorie «Royaume de Dieu» au sein de l’ecclésiologie. D’où vient l’accent majeur donné dans le document au sécularisme plutôt qu’à l’exclusion sociale. La «mission» est préoccupée par le salut, soit, mais, en le concevant à partir de l’Église, elle se retrouve davantage centrée sur celle-ci plutôt que sur le salut, qui, également, peut survenir hors de l’Église. Même si le salut ne se trouve pas hors de Jésus-Christ, il se peut qu’on le trouve dans la sphère d’un Royaume au-delà de l’Église.

On donne l’impression d’une mission qui fait fi des médiations historiques pour la rencontre avec Jésus-Christ. Une mission qui serait une prédication devant être accueillie en son coeur, sans prendre suffisamment en compte une Parole qui doit toujours être accueillie et lue au coeur d’une tradition, précédée par l’expérience de cette tradition et par le témoignage. Alors, la foi, avant d’arriver à Jésus-Christ, passe par l’Église. Avant de croire en Dieu, nous croyons en l’Église (en Église), pour autant que la foi chrétienne soit toujours «croire avec les autres en ce que les autres croient».

Cette perspective devient évidente dans le fait que la mission, dans le document, apparaît avant la réalité et après la partie sur l’Église. D’un côté, on court le risque d’être une réponse à des questions que personne ne se pose; et d’autre part, de confondre la mission avec l’incorporation à l’Église, au lieu de chercher à se centrer sur le Royaume de Dieu qui va au-delà de l’Église et dont elle est signe et instrument.

L’Évangélisation, dans la perspective de l’Evangelii Nuntiandi, ouvre la mission aussi à l’inculturation (EN 63). Dans la mission traditionnelle, tout au plus on fait de «l’adaptation». Dans l’évangélisation, on procède avec le dynamisme de l’inculturation qui s’appuie sur le mystère de l’Incarnation du Verbe qui nous assume pour nous racheter. Une évangélisation qui n’observe pas ce processus d’inculturation, n’est pas dialogique; et si elle ne l’est pas, elle est imposition. Avant tout, évangéliser c’est ne pas ignorer ni imposer.

 

2.2.4 Chapitre IV : La vision du monde.

Comme nous l’avons déjà signalé, après le Concile Vatican II on ne peut plus comprendre l’Église hors du trinôme Église-Royaume-Monde, comme trois réalités qui s’interpénètrent. L’ecclésiologie du document, en plus de ne pas faire référence au Royaume de Dieu, ne voit pas l’Église à l’intérieur du monde, faisant partie de lui, existant pour lui. De la même façon, comme nous l’avons déjà vu, le monde est traité après avoir regardé l’Église, car il est point de chute, lieu d’atterrissage d’une orthodoxie préalablement définie. Il n’est pas source d’inspiration créatrice, lieu théologique, lieu d’interpellation de Dieu (signes des temps), sinon scénario d’un salut métahistorique.

Dans le document, deux aspects marquent la lecture de la réalité du monde d’aujourd’hui : la transition vers une nouvelle époque (94-111) et le phénomène de la mondialisation (112-123). Il y a une bonne lecture de ces phénomènes ; sans toutefois en tirer les conséquences pour la mission. Cela révèle qu’ils n’ont aucune incidence sur elle. C’est plutôt la mission qui devra en avoir une sur eux. Le premier nous amène à ne pas voir tout comme clair et sûr, à ne pas posséder toutes les réponses. Le second nous place dans une attitude de service, de recherche et de dialogue au sein d’une société pluraliste, dans laquelle les principes de l’Évangile, sur lesquels une société pleinement humaine doit être bâtie, nécessitent des médiations historiques pour devenir réalité concrète. Les deux autres phénomènes importants ne sont pas suffisamment pris en compte : le pluralisme et la nouvelle rationalité émergente.

En ce qui concerne le changement d’époque et la mondialisation, ces éléments ont tendance à être considérés comme une menace pour l’Église (n. 147) ; et maintenant, même s’ils l’étaient, ils ne sont pas les seuls. De là découle une posture hostile, apologétique, surtout face à la mentalité laïque et relativiste. Le laïcisme doit être éradiqué (n. 146). La mondialisation peut être améliorée (n. 114). Pour faire face à ce monde on évoque le souvenir des martyrs de «la fin du XIXe siècle au commencement du XXe» (n. 28), justement ceux qui se sont confrontés avec les États modernes, laïcs et rationalistes. On regarde avec préoccupation les avancées du relativisme éthique qui mène à une société postmoderne. On voit peu de marge pour le dialogue, l’interaction, le service, la recherche avec toutes les personnes de bonne volonté de nouvelles réponses aux problèmes nouveaux. On a l’impression que l’Église possède déjà toutes les réponses et qu’elle pourra, seule, transformer ce monde, spécialement s’il s’agit, pour une large part, d’en faire un monde chrétien. Sur ce point particulier, la grande nouveauté de Vatican II fut l’acceptation de l’histoire dans son ambiguïté radicale, lieu d’interpellation de Dieu au moyen des «signes des temps». Le monde est création de Dieu. Le plan de la rédemption n’a pas aboli le plan de la création, sinon qu’il l’a récapitulé, selon le langage paulinien (Ef. 1,10), développé avec ampleur par Irénée de Lyon.

La mission, dans cette perspective, court le risque de concevoir le salut comme étant «séparer du monde» au lieu de s’insérer en lui et de le recréer du dedans, sur les traces du mystère de l’Incarnation. Le monde n’a pas d’autonomie légitime: ou bien il s’intègre et est absorbé par l’Église, ou bien il est perdu, dans une mentalité typique de chrétienté dans laquelle le sacré ne s’insère pas dans le profane, à moins de cesser d’exister, se laissant absorber par l’autre.

 

2.2.5 Chapitre V: la visée de la mission continentale.

La motivation majeure pour une «grande mission continentale» (n. 173) n’est pas le fait qu’un continent chrétien soit structuré de façon non chrétienne, engendrant de l’exclusion, de l’oppression, de la faim, de l’injustice, etc., et empêchant que le Royaume de Dieu et son salut surviennent dans la vie personnelle et sociale. Il y a, par contre, une préoccupation pour la décroissance du nombre des catholiques, qui sont passés surtout aux mouvements religieux autonomes de type pentecôtisme (n. 155), par conséquent, une préoccupation pas nécessairement pour la qualité du christianisme, mais certes pour la visibilité de l’Église catholique. Face à un tel défi on a de la difficulté à aller aux causes réelles, même de type structurel, de l’Église, et on donne l’impression d’opter pour la dispute du marché religieux avec les mêmes moyens des compétiteurs.

Pour le document, la mission est orientée à «ce que tous aient la vie en Lui» – Jésus-Christ -. La question est donc qu’est-ce qu’on entend par «vie»? Même quand il est correct d’affirmer que Jésus est la Vie», le concept correct est sujet à situer correctement la christologie à l’intérieur de l’économie du salut. Il existe une tendance à ne pas concevoir le «plan de la rédemption» en relation avec le «plan de la création», en ne mettant pas en relation de manière adéquate évangélisation et promotion humaine. Comme si seulement il y avait salut au plan de la rédemption, en ne la saisissant pas comme «récapitulation» du plan de la création, sinon presque comme sa substitution. En plus, on ne distingue pas dans cette perspective la foi «en» Jésus et la foi «de» Jésus. Comme s’il n’y avait de salut que lorsqu’il y a foi «en» Jésus, en tant qu’adhésion explicite à l’intérieur de l’Église, et non pas aussi quand il y a foi de» Jésus, c’est-à-dire, vie des béatitudes même sans le savoir. La Vie «en Lui» ne se donne pas uniquement quand il existe une adhésion explicite à Jésus-Christ, sinon en même temps lorsque se vit sa vie, même si on ne le sait pas, car toute action dans l’Esprit converge vers le Christ. Pour cela, le concept de «Vie» du Document a besoin d’être élargi. Le salut demande d’être mieux articulé avec l’histoire, la nouvelle société, la promotion humaine, les réalités terrestres, etc., et en conséquence la conversion personnelle avec la conversion structurelle, vie spirituelle et vie temporelle, etc.

La mission, dans le Document, et nous l’avons déjà signalé, donne lieu à penser qu’elle consiste en l’incorporation de tous dans le Christ, qui équivaut à incorporer tout le monde à l’Église catholique (n. 162). Ce serait comme une sortie dehors pour attirer au-dedans. Comme le Royaume de Dieu tend à se confondre avec l’Église, celle-ci est l’instance du salut de Jésus-Christ; ce qui justifierait de la situer comme point d’arrivée de la mission (n. 163). Cela équivaudrait à dire que, de fait, le point d’arrivée est Jésus-Christ, mais comme l’Église est son corps, il n’y a pas de Christ sans Église, ou plus exactement, il n’y a pas de salut en Jésus-Christ hors de l’Église.

 

2.3 À titre de conclusion

La V conférence du CELAM et Caraïbes s’insère dans la tradition des quatre conférences précédentes: Rio de Janeiro (1955), Medellin (1968), Puebla (1979), Santo Domingo (1992). La première fut marquée par le contexte de Nouvelle chrétienté, c’est-à dire, d’apologie face au monde moderne et d’une action de reconquête pour la foi catholique, tributaire de l’ecclésiocentrisme encore dominant. Medellin a situé l’Église du sous-continent dans la perspective de Vatican II, en élaborant une «réception créatrice» qui signifiait faire du Concile un point de départ plus qu’un point d’arrivée. Puebla cependant, fut déjà un frein à la récente originalité d’alors, d’une «tradition latino-américaine et caraïbe », et cela fut encore plus vrai à Santo Domingo. C’était le reflet du processus graduel de ce qui s’appelait «l’involution ecclésiale» au sein d’une modernité en crise. L’option pour les pauvres et la perspective libératrice, qui se revendiquaient selon l’esprit du Concile, tendront à être considérées davantage comme une idéologisation marxiste que comme expressions concrètes et historiques de l’évangile social de Jésus de Nazareth. La perspective du Document préparatoire en vue de la Conférence d’Aparecida, s’insère dans cette distanciation graduelle de la légitime et originale tradition latino-américaine et caraïbe inaugurée à Medellin, ou ce qui revient à dire, en dernière instance, une distanciation des intuitions et axes théologiques centraux du Concile Vatican II.

Il est nécessaire de récupérer les intuitions et les axes théologiques centraux de Vatican II, et avec eux, la riche «tradition latino-américaine et caraïbe ». De là l’importance de ce temps de préparation de la V Conférence du CELAM, à travers le processus des communautés ecclésiales, pour l’enrichissement de la proposition du Document préparatoire.

Cinq points principaux pourraient servir d’axes d’orientation à cet effort :

1. Poser la réalité comme point de départ et non comme point d’arrivée, afin que le temporel ne perde pas son autonomie et sa spécificité, spécialement la particularité latino-américaine et caraïbe.

2. Expliciter la relation intrinsèque de la foi avec la praxis libératrice, pour que la religion ne soit pas prédestinée à continuer à être reléguée dans la sphère privée d’une spiritualité intimiste.

3. Témoigner d’une religion transformatrice, ce qui implique une Église vivante et prophétique qui réalise dans les CEB un nouveau modèle d’Église, car elles sont un modèle privilégié, au sein de la société, d’articulation entre foi et vie, entre christianisme et citoyenneté.

4. Raviver l’option préférentielle pour les pauvres, qui ne voit pas ces derniers comme des objets sinon comme des sujets d’une société nouvelle, qui ne soit pas un travail simplement prioritaire parmi tant d’autres sinon une optique depuis laquelle on regarde tout de façon prophétique.

5. En autant que le salut se réalise dans l’histoire et qu’il existe une histoire unique, concevoir la libération non comme un simple synonyme de développement ou promotion humaine sinon comme salut conçu selon la perspective de Medellin: «passage de situations moins humaines à plus humaines ».

Agenor BRIGHENTI
Traduit de l’espagnol par Yves Carrier et Guy Boulanger
Québec, 29 janvier 2007




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